Paris : Les Deux Plateaux au Palais Royal, grandeur et misère des colonnes de Buren - Ier



Les Deux Plateaux, plus connus sous le nom de colonnes de Buren, déploient leurs 260 cylindres de marbre à travers les 3000m2 de la Cour d’Honneur du Palais Royal depuis 1986. Havre de paix prisé des promeneurs, le jardin du palais Royal est classé au titre des Monuments historiques depuis 1920 et l’ensemble du domaine comprenant Les Deux Plateaux depuis 1994. Comédie française, théâtre du Palais Royal, restaurant Grand Véfour, Ministère de la Culture et Conseil d’Etat se partagent ce lieu de patrimoine, d’histoire. L’oeuvre in sitù signée Daniel Buren fit en son temps polémique et faillit ne pas voir le jour. Pourtant aujourd’hui, l’harmonie entre cette composition et l’architecture classique originelle paraît évidente. Les tronçons de colonnes évoquent en contrepoint les ruines antiques de la Grèce tandis que le caractère très urbain de l’installation, marquée par l’asphalte et les caillebotis en acier, affirme sa modernité.










En 1983, le président François Mitterrand souhaite faire réaménager la Cour d’Honneur du Palais Royal qui sert alors de parking aux fonctionnaires du Conseil d’Etat. L’objectif est double, interdire l’accès aux voitures et installer une oeuvre d’art. La commande publique lancée par le ministère de la Culture dirigé par Jack Lang reçoit plusieurs dossiers. C’est François Mitterrand lui-même qui choisit le projet de Daniel Buren en 1985. Le chantier débute alors sous la maîtrise d’oeuvre de Patrick Bouchain. 

Très vite, une vive polémique se déclenche questionnant la pertinence d’une oeuvre d’art contemporain dans un site classé. Eternelle controverse des anciens et des modernes, menée notamment par Le Figaro. Les pétitions de riverains se multiplient, la bataille judiciaire fait rage. Artiste, commanditaire et commissions variées s’écharpent par avocats interposés. En février 1986, les travaux s’arrêtent. En avril, la Commission supérieure des Monuments historiques consultée se prononce contre l’achèvement de l’oeuvre. Mais au mois de mai, François Léotard, nouveau ministre de la Culture de la cohabitation, décide de son achèvement en raison du droit moral de l’artiste. En juin l’installation est terminée mais l’inauguration est discrète. Depuis, l’oeuvre a totalement séduit le public qui se l’est approprié au point d’en faire l’un des sites les plus photographiés de Paris.










L’oeuvre répond à deux principes fondamentaux établis par Daniel Buren. Premier principe, cette installation s’inscrit pleinement dans la composition architecturale du Palais Royal, composition basée sur un principe linéaire et répétitif de colonnades. La distribution des colonnades de la galerie d’Orléans détermine le traçage au sol. La circonférence et l’axe des colonnes du palais Royal décident de la hauteur et de l’espacement des piliers des Deux Plateaux. La répétition des bandes et des cylindres rythme les différentes perspectives donnant à l’ensemble une unité structurée qui correspond avec l’architecture originelle du lieu. Second principe, l’oeuvre révèle le sous-sol. Ainsi le regard circule entre les plans produisant un effet troublant d’enfoncement, de prolongation. Le promeneur est placé dans une position intermédiaire entre les deux espaces imaginés par l’artiste. Cette installation suggère la participation du visiteur qui est invité à s’approprier l’oeuvre, à expérimenter physiquement le lieu, idéal pour un chat perché urbain.

Daniel Buren a imaginé pour ses Deux Plateaux une construction en deux plans distincts, deux plateaux donc. Le premier au niveau de la cour correspond au sommet aligné des colonnes tandis que le second, en sous-sol s’étend sur trois tranchées creusées dans lesquelles ont été placées des colonnes de hauteur égale mais que la déclivité du terrain fait apparaître différentes dans l’alignement. Les 260 colonnes octogonales se disputent trois hauteurs différentes selon leur position. Rayées de noir et blanc, elles doivent leurs zébrures d’une largeur unique de 8,7 cm aux rayures du tissu standard utilisés pour réaliser des stores que l’artiste trouvait dans sa jeunesse au marché Saint Pierre. Réalisés en marbre de Carrare et marbre noir des Pyrénées, les piliers si contemporains dans leur apparence bicolore renvoient par l’utilisation des matériaux nobles à la statuaire classique. Le plan d’eau qui circule sous la place, sorte de fontaine souterraine, est illuminé de nuit par une lumière verte étrange qui évoque souvenir d’une usine électrique installée temporairement en 1861 au Palais Royal. Quand tombe le jour, Les Deux Plateaux changent d’apparence et embrassent le mystère d’une contemporanéité phosphorescente. 











En décembre 2007, Daniel Buren pousse un coup de gueule. Il estime que la dégradation de l’oeuvre porte atteinte son droit moral d’auteur. Il envisage de demander sa destruction si Les Deux Plateaux ne font pas rapidement l’objet d’une restauration. Au fil du temps, l’installation a séduit le public mais des problèmes structurels ont grippé son bon fonctionnement. La dalle de béton posée à l’occasion de la construction n’assure pas la parfaite étanchéité de la rivière souterraine sous laquelle se trouvent des salles de la Comédie française qui ont été victimes d’infiltration. L’alimentation du plan d’eau a cessé de fonctionner en 2000 et depuis la partie souterraine négligée est très sale. En raison d’une importante fréquentation, flâneurs, touristes mais également de nombreux skaters ont participé malencontreusement au délabrement. 

Des budgets sont débloqués et une campagne de rénovation d’un an et demi est lancée. La réfection concerne les aspects techniques de l’oeuvre, la circulation de l’eau en sous-sol, le circuit électrique, l’étanchéité ainsi que le nettoyage des colonnes. Rénovés, Les Deux Plateaux sont à nouveau inaugurés, cette fois en grande pompe, le 8 janvier 2010 par Frédéric Mitterrand. 

Les Deux Plateaux, une oeuvre de Daniel Buren
Cour d’Honneur du Palais Royal - Paris 1



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


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