Paris : Passage de la Sorcière, son rocher, ses légendes montmartroises et la polémique autour de la privatisation - XVIIIème



Bordé de belles résidences privées et d’un terrain fleuri occupé par les boulistes du quartier, le passage M18 dit passage de la Sorcière sinue parmi les arbres, pittoresque chemin pavé de frais, caché derrière une grille depuis le 23 avenue Junot jusqu’à un petit escalier typiquement montmartrois duquel il caracole jusqu’au 65 rue Lepic. Les deux entrées sont préservées par des digicodes à la suite d’une polémique autour de la sécurité de cette voie privée aujourd’hui fermée au public. Derniers vestiges du Maquis de Montmartre prisé des artistes, écrin de végétation luxuriante, ces allures de belle endormie d’un autre temps, donnent à l’imagination l’occasion de vagabonder. Nombreuses sont les légendes, fantasques les contes et merveilleux les mythes qui entourent le passage de la Sorcière, bien loin des querelles de voisinage au sujet la privatisation de la voie.





 

 





Masse sombre piquetée de fleurs et d’herbes folles, un imposant bloc de pierre raviné par les intempéries et l’usure du temps obstrue le passage en son milieu. Les rumeurs les plus folles entourent cette opaque énigme minérale. Le rocher de la sorcière est aujourd’hui considéré comme le vestige d’une fontaine désaffectée. Des travaux de géologues ont déterminé que ce roc proviendrait de la Marne près de Reims. Le rocher ne serait pas originaire de la région parisienne renforçant la théorie d’une fontaine délabrée créée par la main de l’homme. Une hypothèse plus farfelue suggère qu’il s’agirait d’une météorite. Cependant rien ne vient la confirmer. 

Du passé artistique du passage, il ne reste plus grand-chose. Jusqu’en 1982, s’y trouvait la cabane des clowns Georges Footit et Chocolat démolie pour cause d’insalubrité. Entre 1890 et 1905, ils se produisent au Nouveau Cirque de Josep Oller au 251 rue Saint Honoré, interprétant des numéros comiques en duo très prisés des Parisiens, puis aux Folies Bergères jusqu’en 1910. Henri de Toulouse Lautrec fait d’eux de nombreux dessins et croquis dont le plus célèbre est une caricature qui date de 1886 et représente Chocolat dansant dans un bar.

Le destin de Rafaël Padilla dit Chocolat est assez tragique. Orphelin cubain descendant d’esclave, il est vendu à l’âge de 8 ou 10 ans à un marchand portugais. Adolescent, il s’enfuit puis est découvert à Bilbao en Espagne par le célèbre clown blanc Tony Grice qui l’emploie comme domestique. Impressionné par ses talents de danseur, celui-ci lui apprend le métier d’artiste. A Paris, le succès est au rendez-vous pour le duo que Chocolat forme avec Footit. Mais lorsqu’ils se séparent en 1910, leur carrière en solo peine à décoller. Chocolat termine sa vie dans la troupe du Cirque Rancy de Bordeaux. Rafaël Padilla s’éteint dans la misère, rongé par l’alcoolisme, en 1917 à l’âge de quarante-neuf ans.





 

 

 




Le 22 juin 2009 marque la fermeture au public de cette voie utilisée par les Montmartrois et prisée des touristes. Le passage, lieu insolite et unique, est alors au cœur d’une polémique. Il s’y joue des micro-drames de voisinage et les revendications fusent auprès du Conseil d’arrondissement. Réfection du passage, dangerosité de l’escalier délabré, dégradations vandales, sécurité du passage qui tranquille la journée, attire, la nuit tombée, une faune fort peu recommandable se livrant à la drogue et des agressions, le financement des travaux pose problème. Durant quatre ans, les demandes d’aides et subventions aux services municipaux pour sécuriser le passage et notamment rénover l’escalier ne sont pas entendues. 

La mise aux normes publiques représente un investissement considérable pour la copropriété constituée d’une soixante de propriétaires dont la Mairie à qui appartient le terrain de boules. La crainte des accidents, pouvant mettre en cause la responsabilité civile des propriétaires privés, pousse ceux-ci à fermer l’un des derniers passages de la Butte Montmartre encore ouvert aux promeneurs. Les négociations sont âpres autour des subventions municipales accordées pour les travaux d’un montant de 250 000 euros et la durée de convention, les deux étant conditionnées par la réouverture du passage. Je ne sais pas comment s’est terminée exactement cette sombre histoire mais aujourd’hui, il faut montrer patte blanche ou se rendre à l’Hôtel Particulier pour pouvoir visiter le passage de la Sorcière.

Passage de la Sorcière
23 avenue Junot - 65 rue Lepic - Paris 18

Bibliographie
Le guide du promeneur 18è Danielle Chadych - Dominique Leborgne - Parigramme

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