Expo Ailleurs : Pierre et Gilles. Mondes Marins - Les Franciscaines Deauville - Jusqu'au 4 janvier 2026

 

L'exposition "Pierre et Gilles. Mondes Marins", aux Franciscaines de Deauville, dévoile un parcours thématique depuis les premières oeuvres communes du duo d'artistes,, à la fin des années 1970, jusqu'à nos jours. Marins, saints, voyous, madones, tritons, sirènes se jouent des ambivalences pour dépasser le simple registre onirique et embrasser les zones d'ombre, les fêlures porteuses de sens. Merveilleux et réalisme se contaminent l'un l'autre afin de se confronter au chaos du monde et poétiser la réalité. Pierre et Gilles inventent des espaces de liberté et célèbrent les contre-cultures. 

De leur enfance en bord de mer, à la Roche-sur-Yon pour Pierre Commoy, au Havre pour Gilles Blanchard, le tandem a conservé un goût pour les imaginaires liés à l'océan et aux marins. Le souffle épique de l'aventure et le charme des uniformes, marinières, bérets à pompon - "Le marin (Philippe Gaillon)" (1985) - faisaient rêver les gamins. Le cinéma a entretenu ces belles images, l'acteur Jacques Perrin dans "Les demoiselles de Rochefort" (1967) de Jacques Demy, "Querelle" (1982) de Werner Fassbinder. La littérature - Jean Genet, Jean Cocteau, Ousmane Sembène - a gravé des mots. Et dans un mouvement fluide, les matelots au sourire tendre ont pris des allures sexy de petites gouapes pasoliniennes, tatouées, dénudées, dangereuses. Pierre et Gilles convoquent la lumière et glissent vers les ténèbres qu'ils parent de paillettes. Les ports et les docks dévoilent leur nature de sites industriels, proches des milieux interlopes poisseux, de la nuit et de la marge, où règnent la prostitution, le sexe, l'alcool, les paradis artificiels - "De l'autre côté de l'amour (Sylvie Vartan" (2008). 








Pierre et Gilles se rencontrent en 1976 et, depuis près de cinquante ans, œuvrent ensemble, l'un photographe, l'autre peintre. Leur univers flamboyant emprunte autant à la culture populaire qu'à l'histoire de l'art, aux images religieuses, aux références mythologiques. Leurs créations, représentations densément scénarisées, associent le détournement humoristique autant que l'idéalisation. Marquée par une quête d'esthétique, elles posent néanmoins un regard lucide sur la société. Un motif, un geste signifiant, pas de côté, un détail inattendu vient toujours bousculer le sens général, pour mieux rendre compte d'une réalité politique, écologique, militante.

L'intrusion de la féerie décale le propos vers la fantaisie. Le surgissement du réel initie une réflexion mâtinée de mélancolie. Les marins, militaires, soldats, portent des armes de guerre. La mort est leur métier. Les dockers ont les traits tirés. Leur regard las traduit l'éreintement physique qu'est la vie du port. Les belles de nuit auréolées de néons font le trottoir. Oeuvre militante, la série "Les naufragés", au milieu des années 1980 rend compte de l'épidémie de sida qui a décimé toute une génération. 

L'exposition "Mondes marins" s'ouvre sur les premières oeuvres inspirées par l'univers de la mer et ses motifs, telle que la pochette du deuxième album d'Étienne Daho "La notte, la notte" en 1984, où l'artiste pose en marinière, une perruche sur l'épaule. Les premiers autoportraits des années 1980 dialoguent avec les récents "Autoportrait 78 (Barthélémy Seng et Florent Balicco)" (2014) ou "40 ans (Autoportrait)" (2016) ou les premières apparitions de Jean-Paul Gaultier en pull marin. 








Les rêveries érotiques ont des visages angéliques et des corps de dieux grecs. Parmi les quatre oeuvres inédites réalisées à l'occasion de l'exposition qui se tient aux Franciscaines, "Le docker noir (Steven Biaffry)" (2025) dévoile cette part sombre de la vie portuaire, entre épuisement et déréliction. 

Pierre et Gilles transcendent les genres, abolissent les frontières dans un refus radical des barrières, joyeusement subversifs, festifs et militants. Leur travail nous parle en filigrane des causes LGBTQIA+, des problématiques de l'époque, crises climatique, écologique, migratoire, épidémie de sida. Ensemble, ils créent des icônes contemporaines en résonance avec notre époque. Modèles anonymes et célébrités, comédiens, chanteurs, personnalités des réseaux sociaux. 

La cristallisation pop à grand renfort de couleurs vives et de paillettes, de fleurs artificielles, de nuages de tulle traduit un goût pour le baroque, les foisonnements. Les décors oniriques conçus comme des décors de théâtre, la grande illusion tissée de bric et de broc, vibration de la lumière, effets de néon, trompe-l’œil inspirés de l'univers de Georges Méliès. Avant Photoshop et tous les filtres Instagram, Pierre et Gilles inventent une esthétique où la perfection plastique flirte avec un idéal factice. Ils ont établi un processus à quatre mains, exempt de toute image de synthèse, de toute intervention informatique. La photographie réalisée en studio fait l'objet d'un tirage sur toile qui est alors rehaussé, peint directement. Leur atelier se tient au sein même de leur domicile. Dans cette intimité, la rencontre avec l'univers du modèle, sa personnalité inspire l'oeuvre à venir, moment de création et de partage.








Les fonds marins de Pierre et Gilles, peuplés de créatures, sirènes, dieux, aventuriers, empruntent à la mythologie et questionnent la modernité, dévastés par la pollution plastique, les dérèglements climatiques. "Amphitrite" (Nina Hagen)" (1989) l'une des Néréides, nymphes de la mer, épouse de Poséidon, fait la connaissance de Tahar Rahim en scaphandrier, explorateur des profondeurs de "La planète rouge" (2022). La Méditerranée manifeste sa nature mortifère, cimetière des migrants. 

Les saints protecteurs, les madones bienveillantes, parées d'or à l'instar des icônes orthodoxes, veillent sur les matelots. "La Vierge aux serpents (Kylie Minogue, Pinto, Sébastien, Abdallah, Samuel, Nicolas)" (2008) côtoie "Philomène (Mica Arganaraz)" (2021), don de l'association des Amis des Franciscaines en 2022, vierge martyre du IIIème siècle après JC, sainte patronne des bateliers, jetée dans les eaux du Tibre pour s'être refusée à l'empereur Dioclétien. "Ophélie 2000 (Isabelle Huppert)" (2012) dérive, éperdue, dans des eaux de lumière. 

Incandescence et démesure, culture pop et références savantes, les "Mondes marins" de Pierre et Gilles mêlent la grâce et l'engagement, la poétique et la mystique.

Mondes Marins. Pierre et Gilles
Jusqu'au 4 janvier 2026

Les Franciscaines
145 b avenue de la République - 14800 Deauville
Accueil : 02 61 52 29 20
Horaires : Ouvert du mardi au dimanche de 10h30 à 18h30 - Fermé le lundi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.