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Crédit Cédric Grosbois |
1949. Seine-et-Oise. Claire et Paul Lannes, petits-bourgeois, menaient une existence ordinaire. Mais Claire, femme au foyer, a assassiné Marie-Thérèse Bousquet, sa cousine sourde et muette, qui travaillait comme employée de maison auprès du couple. Elle a dépecé sa victime avant de jeter les fragments du corps depuis le pont de la Montagne Percée, viaduc sous lequel passent des trains de marchandises à destination de toute la France. La police a remonté la piste de la meurtrière en recoupant les horaires de trains.
Un interrogateur dont l'auditoire ignore le statut - juge, enquêteur ou psychiatre - tente de reconstituer les faits et de comprendre les motifs du crime. Il reçoit tout d'abord le mari, un homme médiocre, brutal. D'une mauvaise foi totale, il prétend n'avoir rien vu. Sidéré par l'acte de son épouse, Paul déconsidère celle-ci, son manque d'éducation, sa fragilité, misogynie ordinaire qui s'étend également à la cousine trépassée. Quand vient le tour de Claire de répondre aux questions, elle refuse de dire où se trouve la tête de sa victime, seule partie du corps qui n'a pas été retrouvée. Sa tranquillité inquiétante laisse peu à peu apparaître une détresse vertigineuse devant l'horreur de son crime. Insaisissable vérité.
Inspirée par un fait divers réel, Marguerite Duras (1914-1996) a écrit trois versions de "L'Amante anglaise", une première pièce en 1959 "Les viaducs de la Seine-et-Oise", un roman en 1967 adapté pour le théâtre en 1968. Cette histoire de folie criminelle s'incarne dans les silences, les non-dits, variations et lignes de fuite. La dramaturge tente de capturer l'instant de bascule dans l'atrocité. L'incursion de la violence dans la vie ordinaire fait surgir la barbarie. Jacques Osinski signe une mise en scène d'une grande sobriété dans la lignée des directives laissées par l'autrice, voie du dépouillement, sans décor ni costume. Le dispositif minimaliste fait la part belle à un trio de comédiens habités, Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens, Grégoire Oestermann.
Lutte des sexes et sauvagerie des relations maritales, la pièce est développée en deux volets. Les interventions successives de Paul puis de Claire laisse planer le doute sur l'identité de l'interrogateur méthodique. Assis parmi les spectateurs, stylo à la main, Frédéric Leidgens est présence presque invisible, une voix qui entretient le trouble avec une grande finesse d'incarnation. Grégoire Oestermann prête ses traits à Paul dont il incarne avec nuances la mesquinerie, le manque d'envergure et d'empathie, la cruauté latente.
Dans la seconde partie, l'interrogateur tente de remonter à la source en sondant la psyché de Claire. Sandrine Bonnaire apporte une densité particulière au personnage, une opacité entre douceur, ironie et détresse. Elle en saisit toutes les ambivalences, la colère rentrée. Malgré les tentatives pour percer la carapace, dépasser un le blocage manifeste, Claire conserve son secret, jusqu'au bout. En sous-texte, les aigreurs et les ressentiments se dévoilent, ainsi que le mépris à l'égard de la cousine handicapée. Le repli sur elle-même prend la forme d'un enfermement psychique auquel s'ajoute une claustration physique, le jardin seul espace de liberté, parmi les plantes, notamment la menthe anglaise qu'elle écrit "l'amante anglaise".
Déconcertant mystère de l'indicible.
L’Amante anglaise
Jusqu'au 30 novembre 2024
Du mardi au samedi à 21h - Le dimanche à 15h
De Marguerite Duras
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Sandrine Bonnaire, Frédéric Leidgens, Grégoire Oestermann, et la voix de Denis Lavant
Lumières Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos
Dramaturgie Marie Potonet
Musique Das alte Jahr vergangen ist BWV 614, Jean-Sébastien Bach
Transcription Gyorgy Kurtág et interprétation Marta et Gyorgy Kurtág
Production Théâtre de l’Atelier, Compagnie L’Aurore Boréale
Coproduction Théâtre Montansier / Versailles ; Châteauvallon-Liberté, Scène nationale
La Compagnie L’Aurore Boréale est conventionnée par la DRAC Île-de-France
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin - Paris 18
Tél : +33 1 53 41 85 60
Métro Anvers ligne 2
Théâtre Montansier, Versailles du 9 au 11 janvier 2025
TAP, Poitiers, avec les ATP le 14 janvier 2025
Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, Toulon les 16 et 17 janvier 2025
Les Franciscaines, Deauville le 8 février 2025
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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