Paris : Tombe de Victor Noir, rituels de fécondité au cimetière du Père Lachaise - XXème



La tombe de Victor Noir, entre deux chapelles de la division 92 est l’une des plus visitées du cimetière du Père Lachaise. Le monument funéraire dédié à un malheureux journaliste de l’opposition tué en 1870 par un cousin de l’empereur Napoléon III, fait l’objet depuis les années 1960 d’un curieux culte. Symbole républicain devenu talisman de fécondité, l’histoire a tout du canular qui tourne à la superstition. Le gisant très réaliste représente Victor Noir quelques instants après son assassinat. Le célèbre sculpteur Jules Dalou, auteur du monument inauguré en 1891, a doté la statue d’une anatomie généreuse qui attire désormais les rituels insolites. Frotter le membre viril apporterait fécondité aux femmes infertiles. Caresser les pieds du bronze permettrait de trouver l’amour. Embrasser le nez, le menton, les lèvres ferait revenir l'amant perdu. En remerciement des miracles accomplis, les visiteurs ont pris l’habitude de fleurir abondamment la tombe et de déposer des chaussons de bébé dans le chapeau de Victor Noir.




1870 Portrait de Victor Noir par Eugène Appert

1870 Convoi de l'enterrement de Victor Noir
1900-10 Carte Postale




Victor Noir (1848-1870) est le nom de plume du journaliste d’opposition Yvan Salmon. Tué à l’âge de 21 ans par un parent de Napoléon III, la victime devient rapidement un symbole républicain de la répression impériale. Le 10 janvier 1870, à la suite d’un article publié par le Prince Pierre Napoléon Bonaparte, Paschale Gousset se sentant offensé exige des excuses ou à défaut provoquera le cousin de l’empereur en duel. Ses deux témoins Victor Noir et Ulrich se rendent au domicile de ce dernier pour porter la nouvelle. Le sanguin Pierre Bonaparte tire alors sur Victor Noir qui meurt sur le coup, atteint en pleine poitrine.  

La foule parisienne s’émeut grandement du décès du journaliste.  Les funérailles sont organisées le 12 janvier 1870 non pas à Paris mais à Neuilly sur Seine selon le souhait de la famille qui tient à éviter les débordements. Néanmoins, malgré ces précautions, près de 200 000 personnes se rassemblent à l’occasion des obsèques. Victor Noir est considéré comme un martyr de la République. Son meurtre cristallise le rejet de l’Empereur d’autant qu’il demeure impuni. A la suite du procès qui lui est intenté, Pierre Napoléon Bonaparte est acquitté le 20 mars 1870. Cette relaxe provoque de nouvelles manifestations républicaines. L’indignation populaire ravivée, l’hostilité croit tandis que Paris est pris d’une véritable frénésie insurrectionnelle. Le vent tourne pour l’Empire, la défaite de Sedan en marque définitivement la fin. 




1870 Paschal Grousset, Victor Noir, Ulrich Fontvielle




1870 Victor Noir et Ulrich de Fontvielle

1900-10 Carte Postale

Désormais symbole républicain fort, Victor Noir, il est de bon ton de lui vouer une forme de culte politique. En 1855, l’Etat sous la présidence de Jules Grévy décide de lui rendre hommage et de déplacer sa tombe au cimetière du Père Lachaise. Une souscription nationale est lancée afin de financer un monument funéraire. Fervent républicain, Jules Dalou prend en charge la réalisation du gisant. Il choisit dans le goût de l’époque de représenter Victor Noir dans le plus grand réalisme de l’instant précédant sa mort, bouche ouverte, mains gantées, chemise dégrafée. Le chapeau a roulé sur le côté. Plus curieusement, Dalou imagine un sexe imposant moulé dans un pantalon étroit. Le modèle en plâtre du gisant est présenté en 1890 au salon de la Société nationale des beaux-arts. Le monument funéraire en bronze patiné est officiellement inauguré au Père Lachaise le 15 juillet 1891.

Au cours des années 1960, époque facétieuse de liberté des moeurs, l’anatomie avantageuse de Victor Noir fait naître une légende. Le bruit court que le journaliste, décédé la veille de son mariage, pourrait favoriser les amours. L’invention d’un culte à caractère sexuel ne tarde pas. Les attouchements répétés sur le bronze en effacent progressivement la patine. Les parties considérées comme magique, à force d’être effleurées, palpées, embrassées sont lustrées. En 2004, le comportement de certaines femmes jugé indécent entraîne la mise en place de barrières interdisant l’accès au gisant. Entre scandale et pudibonderie, la ville de Paris a tranché et la clôture a été rapidement retirée, redonnant libre accès aux pouvoirs ésotériques de Victor Noir.

Tombe de Victor Noir
Division 92 du Cimetière du Père Lachaise

Entrée principale : 8 boulevard de Ménilmontant - Paris 20
Horaires d’ouverture :
- De novembre à mi-mars : du lundi au vendredi de 8h à 17h30 - le samedi de 8h30 à 17h30 - le dimanche et les jours fériés de 9h à 17h30 
- De mi-mars à octobre : du lundi au vendredi de 8h à 18h - le samedi de 8h30 à 18h - le dimanche et les jours fériés de 9h à 18h 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 20è arrondissement - Anne-Marie Dubois - Parigramme

Sites référents