Paris : Place Edouard VII, et sa rue attenante, un îlot hors du temps, une pépite méconnue - IXème

 

La rue et la place Edouard VII déploient les charmes patrimoniaux d'un ilot conçu entre 1911 et 1913. Le lieu, réinventé au milieu des années 1990 dans l'esprit d'origine, multiplie les jolies boutiques aux devantures de bois, terrasses de cafés et restaurants étendues aux beaux jours sur une voie piétonnière. Depuis le boulevard des Capucines pour rejoindre la rue Boudreau, en passant par la rue et la place Edouard VII et le square de l'Opéra Louis Jouvet, la traversée a des allures d'échappée hors du temps. Sur la place Edouard VII, une statue équestre du souverain (1913), oeuvre de Paul Landowski, converse avec "Le Poète chevauchant Pégase" (1895), d'Alexandre Falguière, côté square. 

Le nom de la rue et de la place rend hommage au roi d'Angleterre, Edouard VII (1841-1910), fils de la reine Victoria. Demeuré Prince de Galles durant soixante ans, "le plus parisien des Anglais", dont les noces et autres mondanités ont laissé un souvenir tumultueux dans le quartier de l'Opéra, sera une fois couronné en 1901, l'un des instigateurs de l'Entente cordiale entre le Royaume-Uni et la République française, signée en 1904.


Rue Edouard VII

Rue Edouard VII

Place Edouard VII


Place Edouard VII

Le percement de la rue et de la place Edouard VII s'inscrit dans le prolongement des grands travaux du baron Haussmann. En 1885, la création du square Opéra supprime le dernier tronçon de la rue Basse de Rempart le long du boulevard et entre l'hôtel Scribe et la rue Caumartin. A l'emplacement de l'actuel îlot Edouard VII, s'ouvre entre le 16 et le 22 boulevard des Capucines, un terrain occupé par deux entreprises de location de fiacres. La compagnie des Petites voitures et la Maison Brion disposent d'un vaste ensemble de remises et écuries. 

En 1911, architecte Henri Paul Nénot (1853-1934), auteur de la Nouvelle Sorbonne et du palais de la Société des Nations à Genève est chargé d'un nouveau programme urbanistique, l'ouverture d'un îlot traversant entre le boulevard des Capucines et la rue Boudreau. En février 1911, l'ancien bâti a été démoli. Arcades élégantes, magasins, résidence hôtelière, Nénot imagine dans son projet originel que la voie soit bordée tout du long de galeries couvertes à l'instar de la rue de Rivoli, destinées à des boutiques haut de gamme. Il conçoit une série d'immeubles identiques, raccordés visuellement par des bas-reliefs représentant les arts libéraux en dessus de fenêtre. L'hôtel de luxe ouvre en avril 1913. La place Edouard VII, ovale à pans coupés, est également soulignée d'arcades. Édifié d'un seul mouvement, l'îlot se caractérise par l'homogénéité de style, fruit d'une conception cohérente. La rue et la place Edouard VII sont officiellement inaugurées le 26 janvier 1914.

L'architecte anglais William George Robert Sprague (1863-1933) en 1913, concepteur de nombreux théâtres et music-halls à Londres et Westminster, féru de renaissance italienne, est chargé de concevoir une salle de spectacle ouvrant sur la place. Le futur Théâtre Edouard VII est inauguré sous la bannière du Kinémacolor, procédé cinématographique mis au point en 1906 par George Albert Smith et Charles Urban en Angleterre. Les deux hommes créent en décembre 1909 une société à ce nom qui malgré le succès, notamment à Paris, fait faillite en 1914. La salle de la place Edouard VII est reconvertie en théâtre en 1916. Sacha Guitry (1885-1957), comédien et dramaturge, s'y distingue de 1920 à 1929 dans ses propres pièces. De 1931 à 1940, la Twentieth Century Fox transforme le lieu en cinéma dédié aux films en version originale. A la suite de cette expérience, la salle redevient le théâtre Edouard VII.

En 1942, en pleine Seconde Guerre Mondiale, la statue équestre d'Edouard VII, au centre de la place, est déboulonnée par un groupe de jeunes ouvriers en guise de protestation contre les bombardements anglais.




Statue équestre d'Edouard VII (1913) - Paul Landowski (1875-1961)

Place Edouard VII

Square Opéra Louis Jouvet
Le poète chevauchant Pégase (1895) - Alexandre Falguière (1831-1900)


A partir de 1921, la Société Général rachète progressivement les propriétés de l'îlot Edouard VII au point de privatiser l'intégralité de la parcelle, la rue devenant une voie privée, fermée par des barrières. Au fil des ans, l'ensemble subit des transformations, des aménagements parasites au point de perdre son identité. En 1992-95 la Société Générale regroupe l'ensemble de ses services centraux en banlieue tout en conservant le siège du 9 boulevard Haussmann à Paris. A l'ouest, la banque développe un siège à La Défense dans les Hauts-de-Seine, et à l'est les deux bâtiments du Val-de-Fontenay à Fontenay-sous-Bois.

La Société Générale mène une opération immobilière sur l'îlot Edouar VII . La restructuration de l'ensemble est confiée aux architectes Anthony Emmanuel Béchu, Gino Valle, Fernando Urquijo et Giorgio Macola. Ils programment l'harmonisation architecturale de la parcelle d'un hectare et demi. La première idée, rendre la rue aux piétons par la suppression des barrières aux extrémités, est suivie par une volonté de redessiner le coeur du pâté de maison en recréant cours et places animées dans l'esprit originel. 

Avant d'intervenir sur le site, Anthony Emmanuel Béchu mène une étude archéologique et historique. Ses plans cherchent à retrouver la forme originelle de l'îlot Edouard VII, associant promenade et commerces.  Les devantures en bois des boutiques, comme au XIXème siècle, sont restituées sur le boulevard des Capucines et la rue Edouard VII. L'équipe d'architectes s'attache à valoriser les caractéristiques du bâti imaginé par Nénot, géométrie, symétrie, hauteur d'étages régulée, corniches ouvragées devant les fenêtres, toiture percée de lucarnes, balcons filants. 


Place Edouard VII


Rue Edouard VII

Rue Edouard VII

Place Edouard VII


La campagne de rénovation de l'Olympia, salle de spectacles inaugurée en 1954, entre dans le cadre de ces transformations. En 1997, débute un chantier important qui prend soin de restituer l'âme originelle de la salle. L'espace déplacé, décalé est reconstitué à l'identique. L'ancienne salle de billard, classée aux Monuments historiques, remarquable pour ses boiseries sculptées, ses belle céramiques représentant des paysages britanniques comme "Fall of the Clyde", "The Tower of London" ou le "Warwick Castle", est soigneusement préservée. Depuis 2019, cette salle ouverte au public et à la privatisation, accueille des spectacles d’humour, des concerts et des soirées.

Place et rue Edouard VII
Accès 22 boulevard des Capucines / Square Opéra Louis Jouvet - Paris 9
Métro Opéra lignes 3, 7, 8



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Editions Hachette
Le guide du promeneur 9è arrondissement - Maryse Goldemberg - Editions Parigramme