Eva Ionesco et Simon Liberati se rencontrent en 2012, comme une évidence. Cristallisation des débuts, glamour décadent et idylle passionnelle. Au cours de leur jeunesse furieuse, dans les années 1980, ils se sont croisés au Palace. Ils se retrouvent trente ans plus tard. Mythe fondateur de leur couple, un mensonge selon un proche de Liberati, il prétend qu'il s'est inspiré d'elle pour écrire le personnage principal de son premier roman "Anthologie des apparitions" en 2004. Ils s'affichent dans les soirées parisiennes, écrivent des livres et des films. Tandem médiatique, Eva et Simon associent créativité et mondanités. Ils se marient en 2013. Simon utilise cette union comme un levier pour obtenir d'Eva les confidences sur son enfance traumatique, soutirer les souvenirs traumatiques de modèle nue sous l'objectif de sa mère photographe. Et écrire un livre, "Eva" publié en 2015, pour lequel il perçoit un à-valoir de cent-vingt-mille euros.
Sulfureux, Simon Liberati traîne une mauvaise réputation. Il se comporte mal avec ses compagnes. Pour l'écriture, un sacerdoce, il est prêt à tout sacrifier, y compris sombrer dans la déréliction et le dérèglement des sentiments. Le couple vit entre la maison de Longpont de Simon, dépendance d'une ancienne abbaye cistercienne, dont elle n'aura jamais les clés, et l'appartement d'Eva à Montmartre. Les deux écrivains, êtres hantés dont les œuvres se nourrissent de leurs vies, basculent rapidement dans les excès, la drogue, l'alcool. Les éclats du désamour prennent la forme d'une folie où règnent violence physique et morale, insultes, soupçons et trahisons. Une véritable descente aux enfers pour Eva Ionesco. La débâcle amoureuse ravive les fêlures.
Jaloux du succès de son épouse, de son groupe d'amis, de Donovan, le fils de sa compagne, trop beau, de ses opportunités dans le cinéma, Simon passe son temps à insulter Eva, la rabaisse quand il ne la menace pas d'une hache. Il s'impose dans ses projets cinématographiques, manque d'empathie lorsqu'elle s'était cru comprise. Elle est la victime, lui le bourreau. Simon se complait dans la provocation, sonde les limites et les dépasse, entre accointances douteuses, il fréquente notamment Alain Soral, figure de l'extrême droite identitaire, et infamies variées. Il s'adonne au salut nazi, joue en boucle sur la platine "Les lacs du Connemara". Il manifeste son soutien à Gabriel Matzneff, sa fascination pour Charles Manson. Et il entretient une liaison avec la jeune fiancée de Donovan, Lolita anorexique et aboulique.
Comédienne au sein du théâtre des Amandiers de Patrick Chéreau dans les années 1980, réalisatrice de "My little princess" (2011), "Une jeunesse dorée" (2019), autrice d'"Innocence" (2017), "Les enfants de la nuit" (2022), Eva Ionesco se réapproprie sa propre histoire et règle ses comptes avec son compagnon toxique. Dans ce récit autobiographique, noir, cruel, elle ne se donne jamais le beau rôle mais reprend la parole confisquée. Elle livre sa version des faits, après celle de Simon Liberati, fictionnalisée dans son dernier ouvrage "Performance" (2022). Écriture cathartique, Eva Ionesco décrypte les arcanes d'une relation vertigineuse d'emprise et de manipulation, où la transgression et l'ambiguïté malsaine sont éclipsées par la force du déni, le terrible espoir de l'amour fou. Une plume, un style, une sensibilité et une sincérité foudroyante.
Deux êtres torturés, autodestructeurs, deux créateurs se phagocytent, s'aiment et se déprennent avec la même virulence. Malgré tout ce qu'il lui fait subir, le raffinement dans la perversion, violences conjugales, elle ne parvient pas à le quitter. Durant la soirée du 15 février 2021, la querelle de trop, c'est pourtant Eva qui blesse Simon avec un couteau à pain, le frappe avec une fourche à bûche. Elle appelle elle-même la police. Garde-à-vue, procès, condamnation, elle est placée sous astreinte judiciaire.
La bague au doigt - Eva Ionesco - Éditions Robert Laffont
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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