Ailleurs : Port de Deauville, double port de plaisance, association heureuse de l'héritage du XIXème siècle et d'un complexe des années 1970

 

Le Port de Deauville, développé depuis le port historique de Trouville, est intimement lié à la création de la station balnéaire à la fin du XIXème siècle. Sa conception originelle renvoie à la double entreprise menée par le duc Charles de Morny (1811-1865). Demi-frère de Napoléon III, politicien et homme d'affaires, il imagine un vaste projet immobilier qui donne naissance au Deauville moderne, villégiature des heureux du monde. Il planifie la réinvention d'une ville tournée entièrement vers les loisirs de la haute société européenne, et l'établissement concomitant d'un port commercial d'envergure, à la pointe de la technologie. Les activités mercantiles triviales font rapidement place à la navigation de plaisance à laquelle se dédie entièrement le port de nos jours. 

L'actuel Port de Deauville se déploie en deux entités, le vieux port municipal aménagé dans les années 1860, composé du bassin Morny et du bassin des Yachts, et le Port-Deauville inauguré en 1975 sur la Presqu'île de la Touques. Dès la fin du XIXème siècle, l'engouement pour le yachting de la haute société qui fréquente Deauville, ses palaces, son casino, ses bains de mer, assied la réputation internationale du port de plaisance. Étape du Tour de France à voile, de la Solitaire du Figaro, il accueille de nos jours de nombreux événements nautiques, la semaine internationale de la voile, l'Open international de Dragon, le Sea Horse Rally.  









Village de pêcheurs, Trouville s'appuie sur petit port situé à l'estuaire de la Touques depuis le Moyen-Âge. Sous la Restauration (1814-1830), l'activité commerciale portuaire connaît une forte expansion sous l'impulsion de la Première Révolution industrielle et des avancées technologiques telles que les bateaux à vapeur. Le Havre, grand port français international prend de l'ampleur. De dimensions modestes, celui de Trouville dédié à la pêche et au canotage, profite de l'émergence du tourisme balnéaire portée par les théories hygiénistes de l'époque et la mode des bains de mer. Dès les années 1840, le village de Trouville, vanté par les peintres, valorise les activités liées au bien-être et à la santé, telle que les soins d'hydrothérapie.  

Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), le port s'adapte aux évolutions de la navigation, aux nouveaux navires et leurs besoins spécifiques. Les années 1837, 1839, 1844, 1846 marquent des étapes successives de l'équipement portuaire. Un premier quai commercial au niveau de l'écluse sur la Touques au début des années 1850. Bientôt les édiles nourrissent le projet d'un bassin à flot sur le port de Trouville. Au début du Second Empire (1852-1870), le port de Trouville fait face à une zone marécageuse sur le bord de mer du village de Deauville, cent-treize habitants à l'origine.

Propriétaire d'une résidence secondaire à Trouville depuis 1844, le docteur Joseph Francis Olliffe (1808-1869), médecin personnel du duc Charles de Morny, fait découvrir la région à l'homme d'affaires. Morny, séduit, s'intéresse au village de Deauville voisin. A partir du hameau modeste, il souhaite développer une station balnéaire prestigieuse et un port de commerce moderne.

Le duc de Morny conçoit la future ville de Deauville comme la rivale des prestigieux centres d'hydrothérapie qu'il fréquente à Baden-Baden et Karlsbad en Bohême. Le projet de bassin à flot de Trouville lui permet de réunir les deux projets, le creusement du bassin et le lancement de la station balnéaire.  Charles de Morny s'associe au docteur Olliffe et au banquier Armand Donon (1818-1902). En avril-août 1859, en leur nom, l'architecte Desle-François Breney (1804-1891) négocie auprès de la municipalité du village de Deauville l'acquisition des marais et terrains à l'ouest de la Touques pour la somme de 800 000 francs. La vente est validée à la suite d'une enquête publique le 29 septembre 1859. 








Charles de Morny imagine lui-même les aménagements initiaux qui transformeront le village de Deauville en villégiature élégante. Enthousiaste, il trace avec Breney les plans originels, dessine notamment l'hippodrome. Il s'agit de trouver le juste l'équilibre entre la station balnéaire et le port. Parmi les premières infrastructures sur le front de mer, centre de la vie deauvillaise, se trouvent le casino, la promenade sur la plage, l'établissement de bains, des hôtels de prestige et des villas privées qui donnent le ton.
 
En parallèle, Morny investit dans la création d'un port commercial d'envergure sur les bords de la Touque susceptible d'accueillir navires anglais chargés de houilles, bateaux norvégiens aux cargaisons de bois, paquebots à vapeur du service postal, et les navettes quotidiennes de voyageurs navette entre Le Havre et Trouville. Afin de transformer le petit port de pêcheur en port commercial, il est nécessaire d'établir une zone industrielle constituée de terre-pleins où aménager les installations techniques, hangars, espaces de stockage, voies d'accès. L'évolution des équipements ferroviaires, la construction de la gare de Trouville-Deauville avec le prolongement de la ligne Paris-Lisieux, alimente le projet. 








L'architecte Desle-François Breney envisage pour le nouveau port, le creusement de deux bassins en eau et d'un avant-port. Au final un seul bassin à flot est creusé entre l'ancien bassin de Trouville et les terrains gagnés sur les marais, sur la rive de Deauville. Le chantier débute en 1862. Le nouveau port est inauguré le 1er août 1866 en présence de l'impératrice Eugénie. Le duc de Morny décédé en 1865 ne voit pas son achèvement. Ses associés privilégient la station balnéaire exclusive au port commercial et peu à peu Deauville perd sa double vocation. Néanmoins, le bassin demeure un pôle d'attractivité grâce au yachting, loisir dispendieux pratiqué par les élites. 

En 1890, le bassin Morny initial est agrandi par un avant-port à flot "le bassin des yachts", d'une capacité de 360 embarcations de 15 mètres de long. Le port de plaisance de Deauville accueille de prestigieux navires, le Crusader de l'homme d'affaires américain, Abraham Kingsley Macomber (1874-1955), le Cutty Sark du duc de Westminster, Hugh Grosvenor (1879-1953). Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le trafic commercial est totalement abandonné.

En 1968, le port de Deauville est équipé de portes hydrauliques, "portes brusquées", afin de maintenir le niveau d'eau à marée basse. Le système automatisé en 1989, est révisé en 2005 avec le remplacement des portes. Le bassin en eau n'ouvre que cinq heures à chaque marée afin de permettre la circulation des plaisanciers, soit dix heures par jour. 










Le bassin Morny arrive à saturation au début des années 1970. Un nouveau projet d'agrandissement par l'aménagement de la presqu'île de la Touques transforme l'ancienne friche industrielle en marina. Port-Deauville, propriété du Département du Calvados, voit le jour entre 1972 et 1975 sous la direction des architectes Jacques Labro et Jean-Jacques Orzoni, duo auteur de la station de sports d'hiver d'Avoriaz. Une digue brise-lame en granit longue de 770 mètres protège l'ensemble des eaux de la Manche. Déployé sur dix hectares entre l'estuaire de la Touques et la plage des Planches de Deauville, Port-Deauville se compose d'un bassin à marée, d'un bassin à flot, d'un bassin en lais de mer accessible par une écluse à sas. Le port en pleine eau est ouvert à la circulation des plaisanciers seize heures par jour grâce à cette dernière. Sa capacité de 800 bateaux de moins de 35 mètres, réserve 100 places aux visiteurs. 

Le complexe résidentiel des marinas s'inspire de l'architecture du vieux port d'Honfleur. Un réseau de passerelles de béton, clin d'oeil au concept des coursives relie les immeubles entre eux. Le programme mixte associe logements, hôtels, résidence de tourisme, équipements publics, commerces, parkings, club nautique, école de voile du Deauville Yacht Club. Plus loin, un peu à l'écart, le chantier naval, pivot de l'activité portuaire, est animé par une quinzaine d'entreprises. En 1992, l'architecte catalan Pancho Ayguavives imagine la résidence New Port aux façades polychromes. 

En 2021, deux tours jumelles hautes de 27 mètres sont inaugurées à l'entrée du bassin Morny. Ces élégants belvédères conçus par l'architecte Xavier Bohl, s'intègrent parfaitement au coeur du vieux port. La silhouette de ces obélisques modernes s'inspire de l'ancien phare construit en 1814, démoli en 1929. Le revêtement des baies et appui de fenêtres en pierre de Sébastopol répondent aux soubassements en pierre de Saint Maximin.  

Port municipal de Deauville
Quai de la Marine - 14800 Deauville

Port-Deauville
3 quai des Marchands - 14800 Deauville

Deauville Tourisme
Quai de l'Impératrice Eugénie - 14800 Deauville 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.