Paris : Immeuble 3 square Rapp, une création Art Nouveau de l'architecte Jules Lavirotte - VIIème

 


Au 3 square Rapp à Paris, l’architecte Jules Lavirotte (1864-1929) conçoit à la demande de la comtesse Pauline de Monttessuy (1825-1905) un immeuble de rapport achevé en 1899/1900. La façade remarquable illustre les partis pris esthétiques de ce maître de l’Art Nouveau en France. Pendant presque sage du 29 avenue Rapp, ce bâtiment, signature architecturale idéaliste, se caractérise par des choix plastiques et techniques innovants. La démonstration virtuose du béton associé au grès flammé fait volontiers la réclame pour les talents de l’architecte. Ce dernier installe son domicile et son agence dans les étages de cette carte de visite monumentale. Les expérimentations de Jules Lavirotte ouvrent de nombreux champs de recherche formelle dans le domaine de l’architecture privée. Les façades et les toitures de l’édifice sont inscrites au titre des Monuments historiques par arrêté du 15 janvier 1975. Les deux escaliers et leurs cages par arrêté du 3 mai 2005.









L’immeuble du 3 square Rapp est édifié dans le cadre d’une spéculation immobilière. En 1898, la comtesse Pauline de Monttessuy, née Pauline Ximenes de Helfenstein, soixante-treize ans, réside entre l'hôtel particulier du 12 rue Sédillot et sa propriété de Bretteville-sur-Laize, le château des Riffets. Son fondé de pouvoir Romuald Jaworowski (1830-inc) gère les affaires et les biens immobiliers de la riche veuve. Le square Rapp est créé sur une parcelle détachée du parc de l’hôtel Monttessuy que Jules Lavirotte vient de réaliser et de terrains détachés du lotissement de l'hôpital militaire désaffecté du Gros Caillou. C’est auprès de Jaworowski que l’architecte acquiert le terrain où est élevé le bâtiment du 29 rue Rapp. 

Débauche de formes et de couleurs, la façade du 3 square Rapp est marquée par une recherche d’asymétrie, une inclination pour la courbe plutôt que la ligne droite. Le concept inédit très Modern Style se développe en opposition à l’académisme. Au vocabulaire esthétique Art Nouveau, Jules Lavirotte mêle des éléments rococos fantaisistes et des motifs maniéristes. Le décor de l’immeuble du 3 square Rapp s’inscrit dans un symbolisme « fin de siècle », qui ne renie pas le caractère érotique de certains motifs. Il s’agit néanmoins d’une expression de la mode « fin de siècle » plutôt que de l’excentricité de l’architecte. Les ornements de la cage d’escalier principale, les vitraux, le sol de mosaïque, les éléments de grès flamme comportent de nombreux éléments symbolistes, autant d’allusions à l’histoire du couple Lavirotte, les initiales JL et JM, les trèfles, les coings, les coloquintes, les chardons, les aubergines.


1918 Photographe Charles Joseph Lansiaux
2021



Seule la solidité du revêtement en grès flammé rend possible cette démarche ornementale. Le céramiste Alexandre Bigot, collaborateur historique de Jules Lavirotte, réalise de véritables prouesses techniques. Le matériau ponctue une étonnante façade polychrome, combinaison de pierre de taille au rez-de-chaussée et à l’entresol, puis de briques et panneaux de grés flammé pour les élévations. Encadrements des fenêtres, des balcons, linteaux des croisées, colonnes des bow-windows, voussures, paliers, chêneaux se chargent de motifs colorés audacieux. Les détails pittoresques en céramique à l’extérieur comme à l’intérieur de l’immeuble évoquent une nature foisonnante, fleurs stylisées, bestiaire fantastique. Jules Lavirotte développe l’idée d’une oeuvre globale. Il dessine lui-même les vitraux, les boiseries, les ferronneries. Pour l’entrée du square, il réalise une grille ouvragée en écho à la porte principale de l’immeuble. Sur le mur aveugle en fond de parcelle, il déploie une treille monumentale en trompe-l’œil, fausse perspective qui habille une verticalité sans charme. 

L’immeuble de rapport du 3 square Rapp combine différents types d’habitation. Deux portes percent le rez-de-chaussée en pierre de taille. L’une ouvragée à double ventaux est destinée aux résidents des étages. La seconde plus discrète ouvre sur les appartements de la Comtesse de Montessuy, distribués sur trois niveaux sous-sol, rez-de-chaussée et le premier étage. Les deuxième, troisième et quatrième étages sont occupés par des espaces plus traditionnels. Les tuiles vernissées scandent la façade du quatrième et cinquième étages. Les deux tourelles néo-renaissance originelles donnent des allures de petit castel parisien à la construction. 




1924 Salon de la famille Lavirotte 





Jules Lavirotte se réserve le duplex établi au cinquième et sixième étage. Son agence occupe les deux pièces en façade. L’appartement que la famille Lavirotte habite de mai 1900 à juillet 1924, se développe sur le premier niveau en un salon de réception, un grand atelier à double hauteur éclairé par une verrière aujourd’hui remplacée par deux dômes. Un escalier privé intérieur donne accès au sixième étage où se trouvent une chambre de bonne, un jardin d’hiver bordée d’une longue terrasse arborée, et un clocheton transformé en atelier d’artiste occupé par l’épouse de l’architecte, Jane de Montchenu (1857-1924) artiste-peintre. L’escalier de service vitré est caractérisé par une structure métallique remarquable. L’appartement singulier, véritable carte, ne manque pas de piquer la curiosité des visiteurs. 

L’ensemble de l’immeuble est doté des dernières innovations techniques : chauffage central, monte-plat, monte-charge et ascenseur fonctionnement hydrauliques alimenté par une source souterraine captée sous l’immeuble. Comble de la modernité, une remise à bicyclette est même ajoutée.

Immeuble Lavirotte
3 square Rapp - Paris 7 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme