Expo Ailleurs : Alexej von Jawlensky (1864-1941) : La promesse du visage - La Piscine Musée d'art et d'industrie André Diligent - Roubaix - Jusqu'au 6 février 2022

 

« Alexej von Jawlensky (1864-1941) : La promesse du visage » première grande rétrospective française consacrée à l’artiste, a été conçue par Itzhak Goldberg commissaire, critique et historien d’art, professeur émérite de l’université Jean Monnet, auteur d’une thèse au sujet de ce peintre. Présentée jusqu’au 6 février 2022 à La Piscine Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix, l’exposition, chronologique et thématique, tend à capturer l’essence d’un cheminement artistique. L’évènement éclaire le principe fondateur de variations et de suites propre à la pratique picturale de Jawlensky. La mise en perspective avec les œuvres des artistes dont le peintre était proche, lié par l’amitié ou porté par des questionnements similaires, Matisse, Rouault, Kandinsky, Derain, Van Dongen, Klee, révèle une puissance chromatique commune, des préoccupations plastiques comparables. Co-produite avec la Fondation Mapfre à Madrid et le Musée Cantini à Marseille, l’exposition « Alexej von Jawlensky (1864-1941) : La promesse du visage » a été rendue possible aux prêts de grands musées et de collectionneurs privées parmi lesquels le Centre National d’Art et de Culture Georges-Pompidou, le San Francisco Museum of Modern Art, le Long Beach Museum, le Kunstsammlungen Chemnitz, le Zentrum Paul Klee, le Museum Ostwall ou l’Archive Jawlensky. 











Le peintre Alexej von Jawlensky (1864-1941), demeure relativement méconnu en France et dans le reste de l’Europe. Cette situation tranche avec sa renommée en Allemagne où il a travaillé une grande partie de sa vie, en Suisse, lieu de nombreux séjour, et aux Etats-Unis sur la Côte Ouest, où l’oeuvre de Jawlensky compte de nombreux collectionneurs grâce à l’entregent de la galeriste Emmy Schreger. Par la force des donations et des legs, son travail se trouve notamment très présent dans les musées de San Francisco alors que ses tableaux restent quasiment absents des collections publiques européennes. En France, seulement deux expositions lui ont été consacrée depuis sa disparition, la première en 1993 à l’espace Vang Gogh d’Arles et la seconde en 2000 au musée de la Seita à Paris.

Pourtant ses visages stylisés, vibrants aplats de couleurs, face géométrique, tête ovale, yeux clos deux traits, croix formée par le nez et les yeux, paraissent familiers tant leur puissance expressive marque les esprits. Talent de coloriste, démarche synthétique, géométrisation radicale, Alexej von Jawlensky ne se rattache pas à un courant précis malgré des affinités avec de nombreux artistes et des mouvements variés. Son oeuvre, inclassable, emprunte autant à l’abstraction qu’à la figuration, au fauvisme qu’à l’expressionnisme. Dans sa recherche d’un vocabulaire plastique inédit, propre à lui seul, Jawlensky s’est singularisé au point de se désolidariser des groupes de l’avant-garde. Proche de Kandinsky, il ne s’inscrit pas dans la lignée du Blaue Reiter. Jawlensky n’a pas souhaité écrire ou documenter ses réflexions au sujet de sa démarche. Ainsi malgré la grande modernité de son oeuvre et son influence sur ses contemporains, la diffusion de ses idées a été restreinte et le rayonnement de son oeuvre, modéré.











Issu de la petite aristocratie russe, Alexej von Jawlensky appartient à une lignée de militaires. Très tôt, il s’apprête à suivre les traces de son père, colonel dans l’armée impériale. Elève officier à l’Ecole des Cadets de Moscou, il visite en 1880 une exposition de peinture à l’occasion de « l’Exposition mondiale ». Le choc esthétique est tel, qu’enthousiaste, le jeune Jawlensky s’essaie au dessin et à la peinture. En 1884, nommé lieutenant en poste à Moscou, il fréquente des artistes et des collectionneurs sans cesser cette nouvelle activité qui prend de plus en plus de place dans son existence. 

Transféré à sa demande à Saint-Pétersbourg, le jeune officier suit en parallèle les cours de l'Académie impériale des beaux-arts. En 1890, il rencontre Ilia Répine, peintre réaliste et romantique et devient son élève. Il fait la connaissance dans son atelier de Marianne von Werefkin, qui sera longtemps sa compagne. A l’occasion d’un séjour dans la famille Werefkin, en 1895, Hélène Neznakomova, lui est présentée. Il entretient une relation annexe avec elle, elle est la future mère de son fils André né en 1902, et il l’épousera en 1922 à la suite de sa rupture avec Marianne von Werefkin. 

Alexej von Jawlensky quitte l'armée en 1896 avec le grade de capitaine. A Munich, où il se consacre enfin à la peinture, il suit l’enseignement d'Anton Ažbe. Il démontre déjà une synthèse personnelle des préceptes de l’avant-garde. Jawlensky s’établit avec Marianne von Werefkin en Bavière dans le village de Murnau. Il se lie d’amitié avec son compatriote Vassily Kandinsky en 1898. Ensemble, ils fondent en 1909 « La Nouvelle association des artistes munichois », avec Adolf Erbslöh, le groupe KKVM qui préfigure le Blaue Reiter de 1912. Jawlensky fréquente les expressionnistes Franz Marc et Eric Nolde. 











En 1914, lorsque la Première Guerre Mondiale éclate, le couple Jawlensky-Werefkin se réfugie en Suisse. L’exposition souligne l’évolution de la technique d’Alexej von Jawlensky durant cette période. Paysages dépouillés et natures mortes se détachent progressivement de la figuration, les détails se distinguent de moins en moins. La démarche se veut synthétique, simplification des lignes et des couleurs. A cette époque, Alexej von Jawlensky prend goût aux séries, les « Variations » de 1914 à 1921 dont le titre général évoque l’univers de la musique, reprennent un même paysage, la vue de sa fenêtre à Saint Prex au bord du lac Léman, décliné jusqu’à une quasi abstraction qui conserve pourtant la structure originelle. Jawlensky se détache définitivement de l’illusion de la figuration, contourne la notion de réalité à travers des compositions par touches, « chansons sans paroles », dont le dessin se réduit à quelques traits, surfaces devenues aplats colorés.

A partir de 1917 et durant près de vingt ans, Jawlensky se consacre quasi exclusivement au visage, à la face. Têtes mystiques et Faces de Sauveur de 1917 à 1923, Têtes géométriques de 1924 à 1933 et finalement Méditations de 1933 à 1937. La rétrospective qui se déroule à la Piscine de Roubaix se penche tout particulièrement sur ce grand sujet de son oeuvre, le visage exploré à travers des séries, expérimentées comme des processus de répétition, de déconstruction. Les toiles réunies fascinent par le principe d’évolution qu’elles soulignent, fluctuations obsessionnelles, processus à l’oeuvre. Le visage délité, recomposé, simplifié, devient face, masque, puis tête occupant tout l’espace de la toile. Jawlensky convoque l’esthétique des icônes orthodoxes, la puissance expressive de l’art africain et océanien, assume des influences cubistes, et se laisse tenter par l’abstraction pure sans jamais succomber tout à fait. Les traits du visage privé d’identité, réduits à quelques lignes, portent en eux une charge émotionnelle troublante d’humanité paradoxale.










A Zurich, Jawlensky se rapproche des artistes dadaïstes, Jean Arp, Marie Laurencin, Wilhelm Lehmbruck. A la sortie de la guerre, il s’installe à Ascona commune suisse du canton du Tessin. Il entame alors la séries des Têtes abstraites, visage humain dont la stylisation exprime une spiritualité intérieure. Ces petits formats marquent par la géométrisation radicale des formes, la schématisation des traits et un choix inédit des couleurs, une restriction volontaire de sa palette chromatique.

A la fin de sa vie, les mains paralysées par l’arthrite, Jawlensky attache les pinceaux à ses poignets. Les traits du visage disparaissent presque brouillés par ce traitement.  Ses préoccupations esthétiques rejoignent alors cette pratique alternative du mouvement, du geste devenu principe fondateur. Alexej von Jawlensky a inventé le visage abstrait.

Alexej von Jawlensky (1864-1941) : La promesse du visage
Jusqu'au 6 février 2022

La Piscine - Musée d'art et d'industrie André Diligent de Roubaix
23 rue de l’Espérance - 59100 Roubaix
Tél : 03 20 69 23 60
Horaires : du mardi au jeudi de 11h à 18h, le vendredi de 11h à 20h, le samedi et le dimanche de 13h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.