En 2013, un collectif de journalistes viennois, composé de Christian Krönes, Olaf Müller, Roland Schrotthofer et Florian Weigensamer rencontrent Brunhilde Pomsel (1911-2017) dans la maison de retraite proche de Munich où elle vit. Elle a alors cent-deux ans mais paraît d’une grande lucidité. Secrétaire de l’un des quatre secrétaires particuliers de Joseph Goebbels alors Ministre de l’Education du peuple et de la Propagande du Reich, son récit prend la forme d’un autoportrait, celui d’une femme allemande devenue témoin de l’Histoire. Les souvenirs recueillis éclairent la vérité d’une vie. Réminiscences incomplètes, fulgurances ou mensonges, Brunhilde Pomsel remonte le temps au fil de la parole dans l’ambiguïté de ses arrangements personnels avec la réalité. Le documentaire « Eines Deutsches Leben » sort en salle en 2016. La pièce de Christopher Hampton écrite d’après les retranscriptions des entretiens est créée en 2019 au Bridge Theatre à Londres, dans une mise en scène de Jonathan Kent avec Maggie Smith.
Au théâtre de Poche Montparnasse la mise en scène minimaliste signée Thierry Harcourt réserve l’espace au texte et à l’interprétation. Judith Magre qui incarne Brunhilde Pomsen est assise à une table couverte de livres et d’albums photos, des documents, soutiens de la mémoire. L’immense comédienne livre une performance remarquable de nuances, de sobriété, de finesse. Elle prête sa voix si particulière à cette parole dérangeante jusqu’au malaise, mêle ambiguïté et force. Brunhilde se confesse mais ne se repend pas. L’humour parfois allège le propos mais cette légèreté même paraît inconcevable tant l’horreur de la réalité frappe nos esprits contemporains. Le propos est dense, l’émotion contenue, le trouble intense.
Le monologue éclaire les subterfuges employés par Brunhilde Pomsel pour vivre avec ces souvenirs. Les anecdotes abondent mais la vieille dame semble faire l’impasse sur l’essentiel, oublis et approximations qu’elle attribue aux défaillances de sa mémoire. Elle refuse tout sentiment de culpabilité et soutient qu’elle ne cherche pas à soulager sa conscience. Pourtant, elle se trouve des justifications : naïveté, manque d’éducation, aveuglement volontaire, efficacité de la propagande, difficultés de la vie quotidienne. Le texte ne tranche pas sur l’équivoque du personnage. L’intime conviction appartient à chacun.
Une vie allemande, de Christopher HamptonMise en scène Thierry Harcourt
Avec Judith Magre
Lumières François Loiseau
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