Théâtre : Maintenant je n'écris plus qu'en français, de et avec Viktor Kyrylov - Théâtre de Belleville - Jusqu'au 29 juin 2025

Crédit Pauline Le Goff


En 2022, Viktor Kyrylov, vingt ans, ukrainien originaire d'Odessa, étudie le théâtre à Moscou. Il a intégré la GITI, prestigieuse institution d'état, il y a trois ans déjà. Russophone, il y vit sa passion pour la scène, son amour pour le répertoire russe, les grands dramaturges Tolstoï, Gogol, Pouchkine, la méthode Stanislavski, principes d'interprétation théâtrale. Le 25 février 2022, fierté de sa famille, prémices d'une carrière prometteuse, il doit se produire dans la première de "La Mouette" de Tchekhov.

Mais le 24 au matin, Viktor reçoit un appel de sa mère, restée au pays : les troupes russes envahissent le territoire ukrainien. Du jour au lendemain, les liens sont rompus, "traître pour les Ukrainiens, ennemi pour les Russes". Ses anciens amis de la GITI ne lui manifestent plus que de l'hostilité. Viktor éprouve la douleur des espoirs brisés, du renoncement à un rêve d'enfant. Mais quand il manifeste la volonté de rejoindre l'Ukraine, prendre les armes pour défendre la patrie, sa mère le supplie : "Surtout ne rentre pas [...] Je préfère mille fois que tu sois un traître ou un lâche ou je ne sais pas quoi, mais je préfère que tu sois vivant." 

Viktor quitte la Russie. Il se réfugie en Lettonie, en Estonie. Il choisit la France parce qu'il a aimé "Hiroshima mon amour" (1959), le film d'Alain Resnais, sur un scénario de Marguerite Duras. La langue française sera désormais sa "langue refuge". Viktor intègre le Conservatoire national supérieur d'art dramatique à Paris puis l'Académie de la Comédie française où il rencontre Éric Ruf, administrateur. C'est ce dernier qui l'incite à raconter son histoire. 

Viktor Kyrylov, auteur et interprète, raconte sa propre histoire dans un seul-en-scène confession à travers lequel il évoque la guerre en Ukraine et sa situation personnelle, cas de conscience et choix de l'exil. "Maintenant je n'écris plus qu'en français", texte confession, replace l'actualité à hauteur d'homme. Viktor Kyrylov, une présence indéniable, une sensibilité inquiète, raconte le fracas de l'Histoire et le chaos intime. Il pose des mots sur un destin qui bascule, la brutalité de ces bouleversements. La scène devient aire de vérité, de questionnements cathartiques. Le dépouillement de la scénographie - un écran où défilent des documents ou des cartes susceptibles d'éclairer les rapports actuels de deux pays frères, la géopolitique, les circonstances - convoque les espaces mentaux. Économie de moyens radicale.

Dans cette histoire d'identité et de déracinement, Viktor Kyrylov dit ses tourments d'exilé, la culpabilité, le sentiment d'avoir été un un lâche, l'émotion de l'élan suspendu, la rupture d'une destinée. Il se demande comment se recomposer après un tel déchirement, conçoit l'art comme moyen de résistance, de réinvention. "Le théâtre, c'est ce qui me sauve", explique-t-il. La réalité de la guerre en Ukraine est abordée de façon frontale, sa banalisation dans les esprits, l'habitude presque de l'horreur, jusqu'à l'indifférence. 

"Maintenant je n'écris plus qu'en français" témoigne des contradictions, de la voie alternative du théâtre afin de devenir le porte-voix de ceux qui en sont privés. Récit incarné, exempt de pathos, d'une grande pudeur, Viktor Kyrylov s'engage avec sincérité dans un appel aux consciences, indignation intacte et espoir chevillé au coeur.

Maintenant je n'écris plus qu'en français
Jusqu'au 29 juin 2025
Mercredi 19h - Jeudi, vendredi et samedi 21h15 - Dimanche 15h

Texte et interprétation Viktor Kyrylov
Sous le regard amical d’Éric Ruf
Régie générale en cours
Son Thomas Cany
Scénographie & costumes Constant Chiassai-Polin
Création lumière Anne Coudret
Conseil dramaturgique Laurent Muhleisen

Théâtre de Belleville
16 passage Piver - Paris 11
Tél : +33 1 48 06 72 34



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.