Cinéma : Drive my car, de Ryusuke Hamaguchi - Avec Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada - Prix du scénario Cannes 2021


Marqués par la perte d’un enfant en bas âge, Yusuke et Oto Kafuku forment un couple apparemment uni. Yusuke, metteur en scène de théâtre, est en pleine adaptation de la pièce « En attendant Godot ». Oto, scénariste pour la télévision, invente des intrigues quand ils font l’amour. Un jour, Yusuke manque son avion et rentre chez lui à l’improviste. Il découvre sa femme dans les bras du jeune acteur qui tient le premier rôle de la série sur laquelle elle travaille. Il préfère s’éclipser sans faire de scandale. Il tarde à parler de cet adultère à Oto. Elle est alors subitement emportée par une méningite. Yusuke demeure seul avec son chagrin, sa culpabilité, son deuil impossible. Deux ans plus, tard, les organisateurs d’un festival à Hiroshima lui proposent de monter une version de « Oncle Vania » de Tchekhov, avec une distribution internationale dont les comédiens s’exprimeraient dans leur propre langue. Chaque matin et chaque soir, au cours des trajets durant lesquels il est conduit au théâtre et puis raccompagné chez lui, il écoute sur cassettes magnétiques les dialogues de la pièce, lecture à deux enregistrée avec son épouse qui lui donne la réplique. Désignée comme son chauffeur, Misuki, une jeune femme, enjointe au mutisme pour des raisons d’assurance, discrète par nature, prend le volant de la vieille Saab rouge de Yusuke. Peu à peu, entre ces deux êtres solitaires hantés par leur passé, un dialogue se noue, lien consolateur, clé d’une certaine résilience.






 
Libre adaptation d’une nouvelle de l’écrivain Haruki Murakami, parue en français dans le recueil « des hommes sans femmes » aux éditions Belfond en 2017, « Drive my car » a été distingué par le prix du scénario au Festival de Cannes 2021. Ryusuke Hamaguchi, cinéaste de l’intime, embrasse une vision du monde poétique et poursuit une quête esthétique dont l’aboutissement à l’écran incarne la grâce et l’élégance. Le trouble du quotidien hanté par des personnes disparues apporte une dimension onirique presque fantastique au film. La frontière entre la réalité et la fiction se brouille. Le cinéaste mène une réflexion sur la création artistique comme prolongement de la vie. 

Dans cette oeuvre d’une grande beauté, le réalisateur prend plaisir à raconter des histoires. Afin de développer les personnages originaux, il entrecroise les destins déployés telles des vignettes vives, tout en nuances psychologiques. Trois heures lui sont nécessaires pour adapter la courte nouvelle de Murakami, geste cinématographique audacieux, fluidité d’un souffle romanesque exaltant. Sur le fil des motifs récurrents de la perte et de la disparition, de l’enfermement par les non-dits, Ryusuke Hamaguchi saisit les trajectoires dans leurs similarités. La construction narrative complexe illustre une circulation cathartique des mots, la parole libérée et l’écoute bienveillante qui permettent d’approcher la vérité des êtres. Yusuke, ses drames intimes, son silencieux sentiment de culpabilité. Misuki son adolescence difficile aux côtés d’une mère schizophrène puis sa disparition dans un tragique accident. L’assistant coréen polyglotte et sa femme, comédienne sourde et muette qui joue en langue des signes. Le jeune acteur et le paradoxe du séducteur timide. 


Ryusuke Hamaguchi pénètre les espaces mentaux des personnages. Le cheminement qu’il propose amorce un voyage fascinant au cœur de la psyché. Le film d’une douceur triste conserve néanmoins une part de mystère évocatrice. Le mensonge qui avait rendu le travail de deuil impossible est levé. Les mots offrent les armes nécessaires pour affronter le passé, guérir les traumas et redonnent l’espoir d’une reconstruction. Cette fresque humaine foisonnante questionne les existences, la nature des relations, la part d’ombre du couple, la résilience. Peinture sensible de la nature humaine, « Drive my car » est une oeuvre saisissante.

Drive my car, de Ryusuke Hamaguchi
Avec Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Masaki Okada
Sortie le 18 août 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.