Lundi Librairie : Tableau final de l'amour - Larry Tremblay


Une nuit, George Dyer qui n'est pas nommé, petit escroc, toxicomane, cambrioleur novice, pénètre par effraction dans l'atelier de Francis Bacon (1909-1992). Cette intrusion violente se termine dans la fulgurance du désir. Ainsi le peintre rencontre celui qui deviendra durant huit années, son amant, son confident et modèle, celui dont il ne cessera de mettre la chair à nu, en scène, dans un art nourri de souffrance. Passion dévorante, abus réciproques, physiques et psychologiques, leur relation tumultueuse prend fin en octobre 1971. George se donne la mort à la veille de l'inauguration de la rétrospective Bacon au Grand Palais à Paris.

Le narrateur revient sur son enfance difficile marquée par la violence. Le père, éleveur et entraîneur de chevaux, le fait fouetter par les garçons d'écurie. Le jeune Francis tente de se venger en séduisant l'un des palefreniers, sa première expérience sexuelle. Son père le chasse du domicile familial lorsqu'il le découvre travesti dans les vêtements maternels. De Londres à Rome, il y a les années de prostitution à Paris, les expériences sadomasochistes. Dans la sexualité et l'art, Bacon découvre une forme de libération, souffrir et jouir pour créer. Les angoisses existentielles s'expriment dans la peinture des corps écartelés. Une vie d'excès, d'errance, de fureur.

Larry Tremblay, dramaturge, metteur en scène, romancier aborde son texte sous la forme, non pas d'une biographie romancée mais d'un roman inspiré d'épisodes réels de la vie de Bacon. La plupart des personnages sont des inventions. Ainsi l'auteur avait déjà constitué un recueil de poésie autour de l'œuvre du peintre, "158 fragments d'un Francis Bacon explosé", publié en 2012. "Tableau final de l'amour" donne une voix à l'artiste. Bacon prend la parole et s'adresse à son amant jamais nommé.

Francis Bacon transcrit ses tourments sur la toile de ses tourments, l'horreur et la beauté, la figure humaine malmenée, le trauma de la guerre, les images de fureur, de mort, les corps souffrants, l'anatomie ravagée, les blessures. Les souvenirs affleurent au fil des pages, Londres dévasté sous les bombes incendiaires, les images terribles de la Shoah, cauchemar, de la contamination du mal, quête de transcendance.

Dans ce récit fiévreux, exalté, viscéral, le désir se mêle à la rage, les fulgurances et les illuminations flirtent avec les abysses. Le style est cru, frontal, convulsif. Larry Tremblay pose des mots sur les sensations à l'origine d'une démarche radicale, sans faire l'impasse sur le scabreux. La narration à l'écoute des sens raconte le regard du peintre, la main qui tient le pinceau, le vertige autodestructeur. L'érotisme omniprésent, entre plaisir et souffrance, efface la frontière entre extase et douleur, véritable intoxication. Un texte à vif, provocateur, dérangeant, hypnotique.

Tableau final de l'amour - Larry Tremblay - Éditions La Peuplade - Poche J'ai Lu