Lundi Librairie : Lorsque le dernier arbre - Michael Christie - Rentrée littéraire 2021

 


En 2038, les changements climatiques ont entraîné un désastre écologique. Le Grand Dépérissement, la propagation anormale d’un champignon doublée d’une infestation d’insectes, a détruit quasiment toutes les forêts. La Terre désormais désert de poussière survit dans la désolation semée par les hommes. Jacinda Greenwood, dendrologue, biologiste spécialiste des arbres, criblée de dettes liées à ses prêts étudiants, a trouvé un travail de guide touristique sur une île, où survit miraculeusement l’une des dernières forêts primaires.  Ce vestige d’un autre temps, sur la côte de la Colombie Britannique au Canada, a été transformé en complexe touristique pour clients fortunés. Ils viennent se ressourcer dans cette cathédrale arboricole d’un luxe inouï. En 1908, deux enfants survivent à un terrible accident de train. Leurs familles disparues, les orphelins n’ont aucun souvenir de leur vie d’avant. Harris le blond, Everett le brun deviennent frères dans le malheur. Ils sont placés sous la surveillance d’une veuve qui les cantonnent dans un cabanon dans les bois de sa propriété. Ils grandissent en enfants sauvages, bûcherons à leurs heures, braconniers et chapardeurs. En 1934, Everett qui ne s’est jamais remis de ce qu’il a vécu dans les tranchées de la Grande Guerre en Europe, vit en ermite dans la forêt, loin des hommes. Il a coupé les liens avec son frère Harris et subvient à ses besoins en produisant du sirop d’érable clandestinement.  Les bois qu’il habite sans autorisation appartiennent à RJ Holt, un industriel redoutable et un homme d’affaires sans état d’âme. Un jour, Everett découvre un nourrisson abandonné et le cadavre d’une jeune femme. Dans le même temps, Harris, devenu aveugle, a poursuivi de grandes études à l’université. Inspiré par les préceptes du capitalisme, il a choisi d’exploiter les ressources naturelles à son profit. Il a bâti un empire et fait fortune en rasant des forêts entières.

En 1974, Willow, la fille d’Harris, militante écologiste convaincue, esprit rebelle, multiplie les actions et les manifestations contre les industriels qui détruisent la nature. En quête de rédemption au nom de sa famille, elle a réparti l’intégralité de son héritage entre des organisations de protection de l’environnement. Elle se sent responsable des calamités perpétrer par son père et choisit de se dépouiller de tous ses biens matériels. 2008. Liam, le fils de Willow, menuisier ébéniste de talent transforme les vieux bois de récupération en décor luxueux pour les nantis de ce monde. Au cours d’un chantier, il chute de huit mètres. Mortellement blessé, il repense à la femme qu’il aime, une musicienne de grand talent qui l’a quitté, à sa fille qu’il n’a pas connue. A ses années d’errance et d’addiction.

Saga familiale d’une ampleur remarquable, ce texte visionnaire, captivant et glaçant, emporte le lecteur dans un puisant souffle romanesque. Michael Christie peint une vaste fresque sociétale de la Grande Dépression à un futur proche terrifiant, un avenir aussi plausible qu’inquiétant. Alternant les époques, du début du XXème siècle à 2038, il embrasse la destinée sur quatre générations de la famille Greenwood, marquée dans sa généalogie même par un lien particulier aux arbres, au bois. Cet attachement intime à la forêt, rapport particulier à la nature, revient comme un motif récurrent qui traverse le temps, essence même de la narration. 

Roman ambitieux, le récit foisonnant s’articule autour de personnages attachants, terriblement humains, dans leurs failles, leur mesquinerie, leur grandeur d’âme. Cette histoire de transmission, de filiation, enchevêtrant les destins, interroge la notion de sacrifice et d’engagement. Les non-dits, les tabous et les tragédies tressent un maillage dense de biographies vacillantes. L’auteur remonte l’arbre généalogique des Greenwood au fil des secrets enfouis qui refont surface, fable sylvestre aux ramifications complexes.

Par le biais de cette fiction sur plusieurs générations, il met en scène la catastrophe écologique annoncée des prémisses jusqu’à sa réalisation. Michael Christie dénonce la cupidité sans âmes, les conséquences désastreuses de la déforestation massive, le pillage systématique des ressources naturelles. L’équilibre écologique est rompu. Le climat bouleversé révèle la fragilité de l’environnement. Les drames personnels des personnages semblent répondre à ce drame universel, vision pessimiste et troublante de réalisme. L’auteur rend hommage à la résilience de l’être humain qui n’est pourtant pas présenté sous son meilleur jour, sa capacité de survie, d’adaptation et l’espoir malgré tout de lendemains moins cruels. Michael Christie nous enjoint à la prise de conscience écologique avant que nos pires craintes ne se réalisent. Un grand roman engagé.
Lorsque le dernier arbre - Michael Christie - Traduction Sarah Gurcel - Editions Albin Michel - Collection Terres d’Amérique - En librairie le 18 août 2021



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.