Paris : L'immeuble Félix Potin du 140 rue de Rennes, l'esthétique Art Nouveau de l'architecte Paul Auscher appliquée à un grand magasin - VIème


Au 140 rue de Rennes, à l'angle de la rue Blaise-Desgoffe, le curieux immeuble Art Nouveau frappé aux armes de Félix Potin a été édifié à l’initiative de l’enseigne, par l’architecte Paul Auscher (1866-1932). Le permis de construction délivré le 11 avril 1904 annonce un bâtiment déployé sur sept niveaux. L’entrepreneur général, E. Devillette mène le chantier. Il s’agit du premier grand magasin édifié selon une technique mixte, mêlant le béton et la pierre blonde. L’esthétique de l’ensemble adopte les préceptes du style Art Nouveau. Arrondis, motifs végétaux et arabesques abstraites, appliqués à un bâtiment commercial monumental, ces éléments attirent l’œil et font la réclame de l’enseigne. L’immeuble Félix Potin du 140 rue de Rennes célèbre la réussite de l’entreprise. La réalisation spectaculaire, affirme aux yeux de tous un succès manifeste. Le décor opulent de la façade, mosaïques et volutes de béton, vient souligner la tourelle d’angle couronnée d’un campanile où le nom Félix Potin tracé en creux, s’éclaire de l’intérieur la nuit venue.  Cette particularité architecturale lui vaut le surnom « bouchon de champagne » tandis que l’immeuble néo-baroque du boulevard Sébastopol, siège de Félix Potin, était rebaptisé « la poivrière ». Façades et toitures sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté du 15 janvier 1975. 













Entrepreneur novateur, Félix Potin (1820-1871) s’est illustré comme l’un des pionniers de la grande distribution. Ses concepts innovants ont préfiguré le commerce moderne de l’alimentation. Produits d’appel de qualité et à prix coûtant pour attirer les consommateurs, marges reportées sur les denrées transformées, vente à bon poids, prix affichés, contrôle des circuits d’approvisionnement, réduction du nombre d’intermédiaires, avec un sens inné de la communication et des affaires, il a révolutionné l’épicerie par ses idées prolifiques. Dès 1861, préfigurant les futures marques de distributeurs, il ouvre ses propres usines de production. 

En 1844, Félix Potin inaugure une première épicerie au 28 rue Coquenard, dans une rue très passante, fréquentée par beaucoup de ménagères. La deuxième boutique voit le jour en 1850, rue du Rocher. Une fois encore, l’adresse n’a pas été choisi au hasard puisqu’elle semble propice au développement d’une clientèle venant de la banlieue. En 1860, le frère de Félix Potin ouvre une nouvelle épicerie à l’angle des récents boulevard Sébastopol et rue Réaumur. Emplacement stratégique à deux pas des Halles, le Ventre de Paris, le bâtiment est retravaillé en 1886 puis entièrement repensé en 1910 par l’architecte Charles Lemaresquier

Au tournant du siècle, en matière d’architecture, le pan coupé ou arrondi des immeubles d’angle a permis de développer des motifs en hauteur. Grandes lucarnes au fronton, tourelles pittoresques et dômes variés marquent de loin les carrefours. Leur dimension esthétique permet de passer outre le règlement urbanistique et d’obtenir des dérogations. A partir de 1902, le gabarit sera libéré rendant sa diversité à la ville de Paris bien trop uniformisée à la suite des grands travaux d’Haussmann. 


Circa 1906

Circa 1906

1907 Catalogue

Circa 1910

Circa 1910 


La rue de Rennes, artère commerçante majeure de la rive gauche, est percée à la suite du décret daté du 9 mars 1853, puis 1866 pour la seconde tranche. Voie très fréquentée, quartier chic et animé, les enseignes qui s’y implantent revendiquent une modernité dans l’air du temps, synonyme d’élégance. La compagnie Félix Potin, toujours à la pointe, y trouve une place toute désignée. Le chantier du 140 rue de Rennes débute en 1904 et se prolonge durant deux années. L’architecte Paul Auscher a recours au ciment armé afin de donner forme à son projet Art Nouveau. 

L’opulence des façades embrasse pleinement le vocabulaire plastique de ce courant. Stylisation des balustrades, consoles parées d’arabesques d’inspiration végétale, lignes courbes et volumes asymétriques. Les arcatures en rez-de-chaussée développent des cartouches ornés de mosaïque aux couleurs pastel. Les inscriptions mentionnent les différentes espaces et spécialités de la maison Félix Potin : thé, lunchs, pâtisserie, five o'clock, biscuits, chocolats, confiserie, baptêmes, cacaos, café, parfumerie, brosserie, fruits, poissons de mer et d'eau douce, manutention. Tout un programme.

Si le riche décor intérieur a disparu, l’évocation de ce qu’il fut, un cadre raffiné destiné à une clientèle élégante, souligne la vocation alternative de ce grand magasin précurseur. A la fois centre d’approvisionnement interne et espace de vente au public, l’immeuble est réparti sur deux modules distincts. Celui du commerce avec les deux sous-sols, le rez-de-chaussée, l’entresol et celui des bureaux et logements du personnel dans les étages supérieurs.

La conception moderne du magasin donne naissance à des intérieurs très ordonnés, distribués de sorte à faciliter la circulation. Les rayons novateurs, traiteur intitulé « service de cuisine pour la ville », assurent une certaine renommée à l’enseigne. L’utilisation de la technologie à la pointe, tel le tapis roulant qui permet d’accéder au salon de thé et au salon de photographie à l’entresol, attire les curieux et confirme le statut d’entreprise florissante.










Au 140 rue de Rennes, les espaces commerçants seront occupés successivement par Félix Potin, puis Tati dans les années 1980. Cet époque est marquée par le terrible attentat dit de la rue de Rennes, le 17 septembre 1986, qui fait sept morts et cinquante-cinq blessés. Repris en 1999 par AGF, le bâtiment est restauré, les espaces intérieurs drastiquement remaniés. Occupé par Monoprix puis désormais une boutique Zara, il est aujourd'hui la propriété du groupe Nexity.

Un ravalement de façade mené en 2018 a rendu tout son lustre à l'immeuble du 140 rue de Rennes. L’architecte Christian Magot-Cuvru de l’Atelier Dorique a coordonné le chantier pour le compte de la société immobilière française. Un soin particulier a été apporté à la restauration du campanile dont les mosaïques ont été déposées et confiées à un atelier vénitien spécialisé. L’éclairage intérieur repensé pour reprendre le concept originel, illumine à nouveau de nuit le nom de Félix Potin. Le budget a été en partie financé par une vaste bâche publicitaire. 

Immeuble Félix Potin 
140 rue de Rennes - Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Les grands magasins : des origines à 1939 - Bernard Marrey - Editions du Linteau
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Editions Hachette
Grammaire des immeubles parisiens - Claude Mignot - Parigramme

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