Expo : Jules Adler, peintre du peuple - Musée d'art et d'histoire du Judaïsme - Jusqu'au 23 février 2020



Oublié malgré ses succès, l’estime de ses contemporains, les honneurs du Salon, Jules Adler (1865-1952) est, de nos, jours très largement méconnu. Ce peintre franc-comtois né à Luxeuil-les-Bains, dans une famille juive d’origine alsacienne, a pourtant poursuivi une carrière parisienne confortable. Au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, une rétrospective d'envergure lui est consacrée. Elle rassemble une grande partie des œuvres conservées dans les collections publiques ainsi que des prêts de collections privées. Cet important corpus comprend 170 pièces, peintures, dessins, gravures, documents. Le parcours thématique illustre la diversité de son travail. Influencé par le mouvement esthétique inspiré de l’oeuvre littéraire d’Emile Zola, Jules Adler, indifférent aux avant-gardes artistiques de son temps, impressionnisme, cubisme, demeure fidèle à l’idée de la figuration, de la narration. Naturaliste, sa démarche s’inscrit dans une veine documentaire confinant au réalisme photographique. Entre modernité, académisme et art officiel, il propose une alternative qui séduit les édiles. L’exposition parisienne propose de redécouvrir une oeuvre qui témoigne avec force et sensibilité des conditions de vie du peuple sous la Troisième République.











A dix-sept ans, Jules Adler s’installe à Paris où il étudie la peinture à l’Académie Julian. Il intègre l’École des Arts Décoratifs sous la direction de William Bouguereau et de Tony Robert-Fleury. Après un premier échec, il est admis aux Beaux-Arts en 1884 dans l’atelier de Pascal Dagnan-Bouveret. Sous le pinceau de Jules Adler, dans ces scènes de la vie quotidienne, se joue toute l’histoire d’une époque. Il s’y lit la chute de Napoléon III, la Commune, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les lois Ferry instituant l’enseignement primaire public laïc gratuit et obligatoire, l’affaire Dreyfus. 

Le peintre retranscrit sur la toile sa perception du monde. Ses œuvres traduisent puissamment son engagement politique à la fois comme homme et comme artiste. Dreyfusard de la première heure, Jules Adler, à l’occasion de l’ouverture du second procès du Capitaine Dreyfus, en août 1899, s’investit pleinement dans l’Affaire aux côtés notamment de Zola


 








De 1892 à 1908, il suit de très près l’actualité des luttes sociales. Il peint le peuple pour illustrer un propos militant et alerter sur la misère des classes laborieuses. Dans une démarche proche du journalisme, il n’hésite pas à se rendre sur place. Des mines de Charleroi aux grèves des ouvriers de l’usine Schneider au Creusot en 1899, Jules Adler expérimente la réalité pour la retranscrire. L’oeuvre peinte en 1899 La Grève Le Creusot, exposée au Salon de 1900 est très remarquée. Il s’agit à ce jour de son tableau le plus célèbre car il illustre de nombreux manuels scolaires. Soutenu par les élus de la Troisième République, il répond à de nombreuses commandes et ses œuvres intègrent les collections publiques.

1908-1910 marque un tournant dans sa vision esthétique. Le peintre engagé se fait artiste humaniste. Il cherche désormais à représenter les plus humbles plutôt que la misère. A travers la ville, il saisit des instantanés de vie, un quotidien modeste. Ses tableaux, ses dessins pris sur le vif célèbrent le petit peuple de Paris à l’instar des photographes Robert Doisneau, Brassaï, Willy Ronis qui plus tard promèneront leur objectif de la même façon.

Durant la Première Guerre Mondiale, Jules Adler organise une cantine d’aide aux artistes à Pigalle. Chargé de mission artistique à Verdun, il dessine et photographie le traumatisme de la Grande Guerre. La paix revenue, il retrouve le goût de la ruralité, de la paysannerie. Son travail reprend alors les couleurs plus joyeuses de la nature. Il est nommé professeur aux Beaux-Arts de Paris en 1928 où son neveu, Jean Adler est élève.











Peintre de la vie sociale, Jules Adler s’intéresse au monde ouvrier, au travail, à la ruralité, autant de sujets résolument modernes. Il représente la férocité de la société industrielle, le labeur dans les manufactures, les ouvriers, les marins, les mineurs, les paysans, les chemineaux.  Les préoccupations humanistes de ce peintre authentiquement soucieux du peuple et de son sort le mènent à devenir militant du progrès social. Engagé jusque dans son oeuvre, il saisit la réalité des classes défavorisées. 

Jules Adler choisit de se confronter sans fard à la misère mais aussi de s’intéresser au quotidien, aux moments de fête populaire, aux petits métiers de la rue. En 1924, lors d’un discours à Bruxelles, il témoigne de cet attachement : « Je me suis penché avec une sympathie cordiale sur les humbles et sur les simples, trouvant auprès d’eux l’écho de mes pensées. J’ai vécu de leurs vies, dans les mines, dans les ports. J’ai de magnifiques histoires simplement humaines de chemineaux rencontrés sur la grand route. J’en ai employés. J’en ai hébergés, Je les ai découverts. Et si je les aimés, ils me l’ont bien rendu. » 












Le peintre offre une vitrine aux plus humbles et s’intéresse à eux dans l’espoir de pouvoir leur venir en aide. Un dénuement qui le frappera lui-même à la fin de sa vie. Spolié de ses biens, Jules Adler est interné en 1944 à l’hospice de Picpus, une annexe du camp de Drancy où malades et vieillards attendent la déportation. A la Libération, s’il a échappé au pire, il se retrouve totalement démuni. Il termine son existence dans la pauvreté à la maison de retraite pour artistes de Nogent-sur-Marne. 

Evocation puissante de l’histoire d’un pays, portrait d’une société, l’oeuvre de Jules Adler donne la mesure des combats politiques, des progrès sociaux de son époque. Son art figuratif empreint d’humanité et de bienveillance dresse en creux le portrait vibrant d’un peintre engagé et sensible. 

Jules Adler, peintre du peuple
Jusqu’au 23 février 2020

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme 
Hôtel de Saint-Aignan
71 rue du Temple - Paris 3
Horaires : Mardi, jeudi, vendredi de 11h à 18h - Mercredi de 11h à 21h - Samedi et dimanche de 10h à 19h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.