Une bête au Paradis - Cécile Coulon : Depuis le décès de son mari puis de sa fille et de son gendre dans un tragique accident, malédiction familiale dit-on au village, Emilienne exploite seule le Paradis. Dans cette ferme à l’ancienne avec ses bêtes, ses champs, ses bosquets, ses étangs, elle mène une vie rude de labeur au rythme des saisons et des animaux. Femme de caractère, Emilienne élève ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel à qui elle tente de redonner le goût de vivre depuis la disparition de leurs parents. Elle a pris Louis sous son aile, un adolescent paumé, maltraité par un père violent, et lui enseigne le travail de la terre. Bientôt, Blanche, adolescente, s’éprend d’Alexandre, un camarade de lycée. Premier amour chargé d’espoir et de passion. Mais tandis que Blanche, brillante élève à qui tous les avenirs seraient ouverts, rêve de reprendre l’exploitation familiale, de mener une existence paisible au milieu de ses bêtes, Alexandre, le charmeur qui ne souhaite que partir, nourrit des fantasmes d’aisance matérielle, de réussite immédiate et facile loin de la campagne.
Huis-clos passionné et cruel, "Une bête au Paradis" poursuit à travers le récit classique d’une trame familière le roman fébrile de la ruralité. Cécile Coulon, romancière et poétesse, convoque la part de sauvagerie en l’homme, la passion jusqu’à la déraison, le malheur par le biais des liens familiaux. Dans cette histoire de filiation, le drame se reçoit en héritage, frappant de sa malédiction chaque génération. Le fléau des disparitions tragiques s’abat aussi sûrement que les femmes ancrent leurs racines dans cette terre à laquelle elles vouent un attachement viscéral.
Sous la plume de Cécilé Coulon, écriture effilée et rigueur tranchante s’offrent le luxe de la poésie. L’épure du style mène à la sensualité dans une ode aux sens et aux corps des femmes. Amour, trahison, sensualité, elle décrit une humanité terrifiante dominée par ses passions bestiales. En chacun, en chacune, l’avidité prend l’ascendant dans une pulsion de dévoration inexorable. Une violence sous-jacente infuse les rapports entre les êtres. Violence contenue mais prête à exploser à tout moment, violence du désir, des choix douloureux, violence physique ou morale.
Cécile Coulon fait planer une ombre sur ses personnages, la folie qui guette les esprits esseulés et s’immisce inexorable. Tandis que la romancière se joue des stéréotypes, les paysans sont taiseux, solides, rugueux et le gars de la ville volubile, charmeur, faux, les protagonistes du drame à venir, s’inscrivent avec force dans le récit. Emilienne, la grand-mère, la matriarche représente la force tranquille, l’obstination. Louis, fidèle et soumis, se sentira toujours pièce rapportée malgré tout. Tourmenté par les fantômes du deuil, l’inconsolable Gabriel, figé dans la douleur, vit un peu à côté du monde. Blanche semble à l’opposé, robuste terrienne que rien n’effraie. Seul Alexandre parvient à percer la carapace. Alexandre, créature d’apparences, fasciné par les illusions du monde moderne, l’argent roi, les ambitions mesquines. Portés par l’esprit de revanche, sur ceux qui les ont blessés, sur la vie elle-même, ils sont dévastés par le désir, la haine, les sentiments contenus qui contiennent la déflagration à venir.
Cécile Coulon questionne le thème de l’exode rurale. Le monde ancien de la campagne, beauté de la nature et puissance de solitude est lentement dévoré par celui de la ville, force destructrice inexorable. La ferme idéale, Paradis mal nommé, révèle son potentiel d’enfermement, devient piège, prison tandis que s’expriment la brutalité et noirceur de l’âme humaine. Il y a un singulier parallèle entre la vie grouillante des bêtes parallèle et les passions humaines morbides.
Roman sombre, sensibilité à vif, "Une bête au Paradis" monte en puissance, crescendo habile vers une résolution terrible. A dévorer !
Une bête au Paradis - Cécile Coulon - Editions de L’Iconoclaste
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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