Expo : Le monde selon Roger Ballen - La Halle Saint Pierre - Jusqu'au 31 juillet 2020



Roger Ballen, photographe sud-africain d’origine américaine, explore depuis plus de trente ans les arcanes de l’inconscient à travers des clichés en noir et blanc, saisis dans l’instant, sans jugement, ni prise de position politique. Ses images documentent la vie des populations marginalisées des territoires ruraux de l’Afrique du Sud. Diversifiant sa pratique, Roger Ballen, peintre, dessinateur, sculpteur, réalisateur, scénariste, metteur en scène a fait connaître son travail photographique sur le plan international grâce à sa collaboration avec le groupe Die Antwoord. En tant que plasticien, en prise direct avec la spontanéité des origines, celle de l’art brut, il échappe à la norme culturelle. Inlassablement, il interroge la condition humaine, le sens ou le manque de sens de l’existence, le sentiment de confusion d’être au monde. La Halle Saint Pierre, lieu d’exposition atypique, dédié aux créateurs hors normes, accueille une grande rétrospective de son oeuvre troublante, Le monde selon Roger Ballen.










L’univers que Roger Ballen qualifie lui-même de ballanesque, dérange, provoque, ne laisse jamais indifférent. Enigmatique, l’artiste dévoile ses obsessions aussi cauchemardesques qu’oniriques, sa fascination pour la marginalité et son profond esprit de rébellion. Sa sensibilité célèbre l’altérité. L’indépendance s’affirme comme le principe vital d’un processus créatif qui rejette le système sclérosé du cénacle artistique. Des tréfonds de l’âme humaine, Roger Ballen arrache aussi bien la grande beauté que la pire laideur. L’exposition à la Halle Saint Pierre est répartie sur deux étages, l’un réservé à une série d’installations créées in sitù à cette occasion, et le second à la photographie.

Né en 1950 à New York, Roger Ballen poursuit une formation de géologue qui l’amène à voyager. A l’automne 1973, il entame un tour du monde qui durera cinq ans, visitant Istanbul, Nouvelle Guinée, le Caire, Cape Town. C’est en 1975 qu’il découvre l’Afrique du Sud de l’apartheid. Ce séjour le marque profondément. Roger Ballen rentre aux Etats-Unis en 1977 et publie son premier livre de photographies Boyhood en 1979. En 1981, il obtient son doctorat en économie minière. L’année suivante, il s’installe en tant géologue s’installe à Johannesburg. Le métier le conduit dans les zones les plus reculées de l’Afrique du Sud, à la rencontre de populations oubliées de tous. Sa pratique photographique sans jugement, clichés crus directs, révèle un univers inquiétant marqué par l’isolement, la décrépitude. Au fil des ans, il diversifie sa pratique artistique et s’ouvre aux différentes formes d’expressions plastiques.









Au rez-de-chaussée de la Halle Saint Pierre, Roger Ballen a imaginé une série d’installations qui se complètent dans une expérience immersive. Dans la pénombre, se devinent tout d’abord des accumulations baroques d’objets chinés dans le monde entier, des personnages aux silhouettes grotesques, aux murs des dessins très enfantins. Les décors rassemblés en mise en scène dont les Les univers de ses décors assemblés évoquent les éléments de la pop culture, du genre horrifique avec son vaste panel d'éléments inquiétants. On songe au film Délivrance, au roman Piège Nuptial de Douglas Kennedy ou encore aux génériques de la série American horror story

Ce monde post-apocalyptique que Roger Ballen présente a été conceptualisé depuis les reliquats des activités humaines. Ici il y a une chaussure abandonnée, un angelot brisé gisant au sol, des motifs vaudou, beaucoup de mobilier hors d’usage. Des animaux empaillés naturalisés, ménagerie aux plumes poussiéreuses, aux fourrures pelées, invoquent l’inéluctabilité de notre sort commun, la mort, la déréliction. Des poulets, des renards, des bestioles volantes, des chats, des rats, des squelettes variés, des marionnettes désarticulés, des poupées démembrées, des personnages vaguement humains de chiffons et de silicone, aux visages difformes ou follement réalistes, le théâtre de Roger Ballen assume sa dimension macabre. Désarçonnant.

La sensation prégnante d’étrangeté se mêle à la familiarité dans un malaise grandissant. L’artiste joue avec le glauque, nous incite à résoudre le mystère. Puissance énigmatique de l’allégorie, monde labyrinthique, l’expérimentation visuelle puise aux sources de la monstruosité intime. L’univers étouffant suinte la perversité, concentré d’horreur et de folie. Sans tabou, Roger Balle repousse les limites du mauvais goût. Les ambiguïtés des symboles trouvent sens dans le contexte, une esthétique hybride hors catégorie. L’étrangeté des assemblages, bric-à-brac vaguement répugnant, illustre puissamment les déchets grinçants d’humanité sur le déclin. 











Au premier étage de la Halle Saint Pierre, sont rassemblées les photographies. Roger Ballen porte un regard sincère sur les populations la marge de la société sud-africaine. L’intimité qu’il envisage avec ses personnes, avec ses espaces insalubres claustrophobiques, entre délabrement et crudité ultime, affirme une volonté de non-interprétation. 

L’effet documentaire accentue le vertige existentiel. Investigations cathartiques des processus mentaux, Roger Ballen met à jour le psychisme, révèle les paysages mentaux. Mais dans la transfiguration d’un monde étrange, il sème le doute entre fiction et réalité, souligne en permanence ses propres obsessions psychanalytiques.










Dans cette exposition, l’artiste, retourné au stade de l’innocence cruelle de l’enfance, cherche à dépasser ses limites dans le déchaînement d’une liberté joyeuse qui tourne à l’acide. Il imagine une universalité qui serait exil à soi-même, voyage intérieur et refoulement. L’introspection identitaire, pur existentialisme, trouve à s’exprimer par le biais d’une esthétique, d’un univers plastique qui dénonce aliénation et l’irrationalité du monde. Le travail de Roger Ballen, témoignage sociétal, est d’une lucidité glaçante vis à vis de notre culture agonisante. Dérangeant, fascinant !

Le monde selon Roger Ballen
Jusqu’au 31 juillet 2020

Halle Saint Pierre
2 rue Ronsard - Paris 18
Horaires : Ouvert tous les jours, de lundi à vendredi de 11h à 18h, samedi de 11h à 19h, dimanche de 12h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.