Théâtre : Kean, d'Alexandre Dumas - Adaptation Jean-Paul Sartre - Mise en scène Alain Sachs - Avec Alexis Desseaux, Sophie Bouilloux - Théâtre de l'Oeuvre



A Londres au XIXème siècle, Kean brûle les planches, adulé par les foules, accueilli au sein de la plus haute société. Cabotin mondain, libertin excessif, il est le camarade de débauche du prince de Galles. Il passe ses nuits à offenser les bonnes mœurs, creusant toujours plus ses dettes. Entre l’homme et l’artiste, parfois Kean se perd et ne sait plus trop où finit le jeu, où s’arrête le personnage. Charismatique séducteur qui se laisse parfois rattraper par la tendresse, les femmes se jettent à son cou. Mais c’est la très sage comtesse Elena, épouse de l’ambassadeur du Danemark, qui attire son attention. Anna Damby, piquante ingénue, rêve de devenir comédienne. Elle supplie Kean de devenir son mentor. Sous les apparences d’une vie dissolue le comédien, en proie à ses démons, est tenaillé par le doute, miné par des failles sensibles. Un soir lors d’une représentation d’Othello, sur scène, il perd le contrôle, une histoire de coeur, et provoque un scandale, véritable suicide social.






Alexandre Dumas créé la pièce en 1836 pour Frédérick Lemaître. Sartre l'adapte pour Pierre Brasseur en 1953. Elle est reprise en 1987 avec Jean-Paul Belmondo dans le rôle-titre. Inspirée de l’existence rocambolesque d’Edmund Kean, immense comédien qui a réellement existé, "Kean" interroge la fragilité de l’artiste sur le fil d’une réflexion au sujet du métier de comédien, de la dualité constante de l’acteur. 

Héros romantique tourmenté, Kean est un être aux frontières de la folie qui se cache derrière une image de dandy impétueux au panache légendaire. Les outrances d’un personnage plus grand que nature répondent à un désir immense de liberté, une volonté de ne plus se conformer ni aux conventions, ni à la morale, ni aux hypocrisies imposées par la société.





La fièvre du récit, la multitude de rebondissements, les délicieux quiproquos, les retournements de situation dynamiques portent la patte de Dumas tandis que bons mots et répliques cinglantes convoquent le théâtre d’Oscar Wilde. Le propos, interrogation sur l’être et les apparences, les liens entre la gloire et le pouvoir, tend vers une modernité propre à Sartre. Sur le thème du théâtre dans le théâtre, classique mise en abyme, le rire et le drame se côtoient, la tragédie et la comédie s’ancrent, essence même du théâtre, au cœur de l’histoire. 

La mise en scène savamment orchestré par Alain Sachs donne à la pièce une dimension vaudevillesque délicieuse. La scénographie portée par d’élégants jeux de lumière imaginés par Muriel Sachs viennent subtilement flouter la frontière entre réalité et fiction. Les changements à vue de décors - très beaux, très épurés, signés Sophie Jacob - fluidifient l’ensemble.




Souple, nerveux, Alexis Desseaux interprète avec charme le cabot délicieux. Habité, il est tour à tour loufoque, fiévreux et fait preuve d’un beau tempérament. Aimable humanité, Sophie Bouilloux incarne une comtesse Elena, digne, élégante, précise dans un jeu plein de justesse.  Très drôle dans le rôle d’Anna, Justine Thibaudat se révèle à la fois charmante et attachante. Stéphane Titeca, majordome secrétaire de Kean, est impeccable dans le registre de la comédie tandis que Frédéric Gorny campe un séduisant prince de Galles. Les apparitions savoureuses de Jacques Fontanel en comte cocu, et dans leurs compositions multiples la puissance comique d’Eve Herszfeld et la belle présence de Pierre Benoist complètent une distribution très investie. 

Divertissante et plus profonde qu'il ne pourrait y paraître, cette pièce est un beau moment de théâtre.

Adaptation Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Alain Sachs
Avec : Pierre Benoist, Sophie Bouilloux, Alexis Desseaux, Jacques Fontanel, Frédéric Gorny, Eve Herszfeld, Justine Thibaudat, Stéphane Titeca

Jusqu’au 30 juin 2019
Du mercredi au vendredi à 20h - Le samedi à 18h - Le dimanche à 16h

Théâtre de l’Oeuvre
55 rue de Clichy - Paris 9
Tél : 01 44 53 88 88



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.