Dans les années 1970, à Harlem, Fonny, vingt-deux ans, artiste prometteur, aime Tish, dix-neuf ans, modeste vendeuse. Ils se connaissent depuis l’enfance, leur idylle a la pureté des premières amours. Ils sont sur le point d’emménager ensemble, lorsque Fonny est accusé par un policier haineux d’un crime, le viol d’une jeune Portoricaine, qu’il n’a pas commis. Il est incarcéré. Tish lui annonce qu’elle attend un enfant. Déjà, elle se pose la question d’une grossesse sans lui tandis que les familles du jeune couple se battent et espèrent que l’innocence de Fonny sera rapidement reconnue. Mais le procès est expédié et il est condamné.
Manifeste politique, histoire d’un amour éternel contrarié par l’injustice, Si Beale Street pouvait parler dénonce avec force les violences subies par la communauté africaine-américaine. Barry Jenkins, réalisateur oscarisé de "Moonlight", adapte avec sensibilité le roman éponyme de James Baldwin, grand écrivain américain héraut de la cause noire publié en 1974. Les amants blessés, sensibles et sensuels, personnages brisés par l’ostracisme d’une société raciste et de ses rouages judiciaires, se font l’incarnation de toutes les minorités opprimées qui tentent de préserver leur dignité envers et contre tout. La reconstitution de l’Amérique des années 1970 de Barry Jenkins résonne avec force avec notre époque. De nos jours, rien n’a changé, la vérité n’a pas d’importance.
Par le biais d’un récit fragmenté, construit en prolepses et analepses, recourant aux ellipses, Barry Jenkins expose progressivement des conditions révoltantes de l’arrestation arbitraire et de l’incarcération mais aussi l’éclosion de l’histoire d’amour. Ses choix narratifs privilégient l’empathie, l’émotion, les instants d’éternité d’un amour naissant mais aussi la colère légitime, celle d’un innocent noir dont la parole n’a pas de valeur face à celle d’un policier blanc, cri de révolte contre le déni de justice, la violence des discriminations. La noirceur du récit contraste avec la beauté des images d’un film où la lumière acquiert une dimension quasi spirituelle dans la chaleur des couleurs, sur une musique envoûtante de Nicholas Britell. La grâce formelle semble souligner la sincérité et la sensibilité du propos, point de vue esthétique puissant qui n’est pas sans rappeler le travail de Wong Kar Waï et Claire Denis.
Couple de cinéma émouvant, Kiki Layne, Trish, l’ingénuité forcée à la maturité par une désespérance radicale, et Stephan James, Fonny, incarnent magnifiquement l’amour inconditionnel et le traumatisme de la perte. Lors des scènes de parloir, l’intensité des regards de part et d’autre de la vitre carcérale atteint des sommets d’expressivité. Malgré la tragédie, la douleur de la résignation, les personnages sont portés par l’espoir d’un avenir apaisé, différent pour leur enfant.
Peinture sociale vibrante, sous une approche poétique à laquelle l’histoire d’amour offre une dimension universelle Si Beale Street pouvait parler dénonce une situation de discrimination et de racisme ordinaire qui perdure. Magnifique film militant, oeuvre essentielle.
Si Beale Street pouvait parler, de Barry Jenkins
Avec Kiki Layne, Stephan James, Regina King, Colman Domingo, Teyonah Parris, Michael Beach, Aunjanue Ellis, Dave Franco
Sortie le 30 janvier 2019
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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