Spectacle : Monsieur Fraize - L'Européen - Jusqu'au 23 février 2019



Polo rouge, pantalon trop court, remonté trop haut, Monsieur Fraize l’alter ego de Marc Fraize débarque sur scène en ovni des planches. Timide maladif aussi ingénu que gauche, aussi misanthrope que déconnecté du monde réel, ce drôle de petit bonhomme qui passe son temps à éplucher les catalogues des supermarchés est capable de sortir les pires énormités avec une franchise déconcertante. Personnage lunaire, il convoque à ses côtés les anti-héros maladroits et attachants de Jacques Tati et Bourvil, enchaîne gaffes et faux à la manière de Mister Bean. A rebours des codes du stand-up, ni provocation ni vannes frénétiques, Monsieur Fraize mise sur l’économie de mots et une gestuelle clownesque. A contrepied, il reformate le temps à la mesure de sa performance. Il ose les silences de trois minutes, créé des longueurs, joue sur les murmures, les répétitions. La mécanique classique du divertissement se dérègle provocant les fous rires nerveux. Adepte du non-dit, du comique de répétition poussé à l’extrême, il teste les limites de son auditoire. Empruntant au théâtre expérimental un sens pointu de l’absurde, il lance des interrogations muettes, laisse ses phrases inachevées, joue sur les moments de malaise, de sidération. Dans ce seul en scène moderne, mélancolique et déroutant, véritable laboratoire surréaliste du clown, Monsieur Fraize distille les micro-effets, alchimiste jusqu’au-boutiste qui laisse le spectateur interloqué, désarçonné et ravi.


En 1992, Marc Fraize est groom dans l’hôtellerie de luxe à Lyon lorsqu’il découvre le théâtre, passion qu’il professionnalise en 2000. Plutôt que de partir à Paris rôder son spectacle dans les comedy club, il préfère tourner dans les théâtres de province.  En 2011, repéré par Laurent Ruquier, il est révélé au grand public dans l’émission On n’demande qu’à en rire. Son personnage décalé séduit et bientôt il apparaît dans des seconds rôles remarqués au cinéma, Problemos d’Eric Judor ou encore Le Redoutable de Michel Hazanavicius et Au poste ! de Quentin Dupieux. 

Mis en scène par Alain Degois dit Papy, qui travaille avec de nombreux humoristes, Jamel Debbouze, Arnaud Tsamère, Blanche Gardin, Sebastian Marx, Bun Hay Mean, Monsieur Fraize compose avec la gêne, distille le malaise, pratique un art délicat, celui d’une rythmique inusitée. Il n’hésite pas à laisser la scène vide, quitte la pièce et s’en va frapper à la porte, jusqu’à ce qu’un spectateur se décide à bouger pour lui ouvrir. Il reste bloqué derrière la sortie de secours qu’il entreprend de réparer, passe cinq minutes à palabrer à mi-voix avec Michel le régisseur à qui il tente de faire comprendre que la chanson lancée n’est pas la bonne et lorsqu’il s’adresse au public, improbables les apartés sont improbables, « J’ai un coup de barre, je vais trop vite... Je commence déjà à m’ennuyer. »




Alors qu’il joue les comiques ratés, l’embarras, l’originalité de la personnalité décalée prime ici sur le texte. Hors cadre, victime des temps modernes, son rôle de Monsieur Fraize permet au comédien d’aborder en sous-texte les angoisses contemporaines, peur de l’autre, de l’inconnu, de la pauvreté, dans une critique sous-jacente de la société de consommation. Subtilité, second degré, cet énergumène déconcertant nous offre un seul en scène non conventionnel, pépite inattendue de non-sens. 

Monsieur Fraize
Jusqu’au 23 février 2019
Les jeudis, vendredis et samedis à 19h30

L'Européen
5 rue Biot - Paris 17

Monsieur Fraize



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.