Lundi Librairie : Piège nuptial - Douglas Kennedy



Piège nuptial - Douglas Kennedy : Journaliste, Nicholas Hawthorne, trente-huit ans, sans attaches ni passion, a passé sa carrière à travailler comme pigiste pour la presse régionale. Désabusé, las de sa vie insipide, il décide sur un coup de tête de réunir ses maigres économies pour partir à l’aventure dans le bush australien. Si l’idée est romanesque, à Darwin où il atterrit, il est très rapidement rattrapé par la réalité sordide. Nick se décide plutôt pour le road trip et achète alors un combi Volkswagen à un couple d’illuminé afin de traverser les étendues désertiques jusqu’à l’Océan indien. Après un accident avec un kangourou qui endommage son véhicule, il est contraint de faire une pause dans un bled où il fait la connaissance d’une plantureuse autostoppeuse du cru, Angie. La robuste créature, rustique mais appétissante, l’entreprend très rapidement. Il se laisse faire mais alors qu’ils arrivent sur la côte, elle se fait plus pressante. Après une dispute et une réconciliation athlétique, elle lui administre une dose massive de tranquillisant. Nick se réveille trois jours plus tard au fin fond de l’outback dans le village de Wollanup, marié pendant son coma à la furieuse Angie et retenu contre son gré dans ce cloaque sordide. Rayé de la carte par les autorités lors de la fermeture de la mine qui le faisait vivre, ce bled improbable a été reconstitué clandestinement par quatre familles d’affreux, sales et méchants. Les chefs de clans y imposent leur propre loi dans un idéal collectiviste déviant. La population gangrénée dès le plus jeune âge par l’alcoolisme survit grâce aux revenus de l’équarrissage de kangourous destinés à une usine d’aliments pour animaux. Et ici, on ne divorce pas !

Ouvrage culte de Douglas Kennedy, Cul-de-sac a été publié en 1994 aux Etats-Unis et traduit en français en 1997. Il est sorti une première dans la série noire de Gallimard, puis a été réédité aux éditions Belfond dans une nouvelle traduction de Bernard Cohen en 2008, sous le titre Piège nuptial. Ce faux polar alerte dispense son humour très noir avec panache. Dans ce roman drôle jusqu’au burlesque, inquiétant, paradoxal, Douglas Kennedy distille l’angoisse avec art menant son intrigue de main de maître au rythme d’un suspense haletant. Apre, glaçant, Piège nuptial possède un ton singulier qui souligne la folie des hommes, la déchéance des esprits et des corps. Le romancier déploie ses talents de conteur dans un récit très cinématographique qui n’est pas sans évoquer des films tels que Wake in fright de Ted Kotcheff dont je vous parlais ici ou encore le terrifiant Délivrance de John Boorman.

Habité par le fantasme d’un ailleurs meilleur, Nick s’impose comme l’anti-héros des temps modernes, dégoûté de sa propre existence, rongé par l’ennui et pour qui la seule solution est la fuite en avant. A la suite de son enlèvement, il va endurer un calvaire chez des êtres rendus à leurs instincts les plus primaires. Son réveil difficile dans un monde délirant, l’expérience de la séquestration parmi ses ignares crasseux privés de tout moyen de développement, va remettre en cause toutes ses certitudes.

Ponctuée de dialogues surréalistes jubilatoires, la narration suit la montée en puissance de l’horreur dans cette communauté autarcique, société primitive réinventée par des cerveaux dérangés. L’occasion pour Douglas Kennedy de développer une galerie de personnages inconscients de l’abjection de leur condition, aussi savoureux qu’outranciers. La puissance d’évocation des descriptions vivaces, les odeurs, les sensations, rend avec force l’atmosphère poisseuse de fin du monde de cette zone sinistrée, e village putride à moitié enseveli sous les monceaux d’ordures, les cadavres de bestiaux en putréfaction. En parallèle les paysages désertiques de l’outback australien, dans leur pureté de mort et de néant, exercent une véritable fascination à la fois synonyme de liberté et origine d’une sensation d’enfermement. Claustrophobie dans les grands espaces. 

Roman grinçant, dérangeant, Piège nuptial est un cauchemar déjanté d’une efficacité redoutable. Jouissif !

Piège nuptial - Douglas Kennedy - Traduction Bernard Cohen - Editions Belfond - Edition de poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.