Cinéma : Suspiria, de Luca Guadagnino - Avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth 



A la fin des années 70, à Berlin, Susie Bannion une ballerine américaine rêve d’intégrer la prestigieuse compagnie de danse Helena Markos. Lorsque Patricia l’une des danseuses disparaît sans laisser de traces, Madame Blanche la charismatique chorégraphe de la troupe lui donne sa chance. Alors que le corps de ballet s’inquiète d’un sentiment de vague menace qui plane sur l’académie, Susie se fait remarquer pour son talent. Nommée étoile d’un important spectacle à venir, elle se rapproche de Madame Blanche au cours de répétitions qui tournent autant à l’affrontement qu’à l’émulation. A la tête de la troupe, la traditionnaliste Helena Markos et la réformiste Madame Blanche se disputent le pouvoir.






Elégante adaptation du film de Dario Argento datant de 1977, le Suspiria de Luca Guadagnino est plus qu’un remake tant cette variation sur un même thème parvient à s’imposer comme une oeuvre indépendante totalement originale. Brillant par ses ambition esthétiques et politiques, cette relecture s’inspire de la mythologie originelle imaginée par le maître du Giallo - littéralement jaune, couleur de la couverture des romans noirs en Italie - celle d’un couvent de sorcières dirigé par trois mères supérieures de légende, Mother Suspiriorum, Mother Tenebrarum, Mother Lachryharum.

Luca Guadagnino choisit de situer son récit dans un Berlin réaliste d’avant la chute du Mur, à l’architecture très marquée. Distillant un climat anxiogène, la ville couleur de béton porte en elle-même le germe d’un sentiment d’insécurité latent, période trouble marquée par les exactions de la bande à Baader, une organisation terroriste d’extrême gauche qui sème la terreur. La mémoire vive de la Shoah ne fait que souligner cette impression de malaise. 

Toile de fond loin d’être anodine, ce contexte berlinois met en exergue l’idée d’un basculement d’un monde vers un autre, de lutte entre les anciens et les modernes. A l’académie de danse, les ballerines font l’apprentissage de la souffrance et du dépassement de soi. L’émancipation a pour prix l’innocence. Le cinéaste file la métaphore politique dans la lignée symboliste d’un mouvement féministe auquel la figure de la sorcière semble renvoyer avec force.






Dakota Johnson incarne avec justesse l’évolution de son personnage, jeune femme ambitieuse qui vit pour la danse pour son art, tout d’abord timide puis se révélant à elle-même. Lumineuse, glacée, Tilda Swinton est saisissante dans le rôle de gourou. Tranchante et maternelle, Madame Blanche libère les danseuses en les soumettant à ses exigences. Je vous laisse le plaisir de la découverte du petit canular auquel l’actrice se prête dans le film. 

La splendeur des chorégraphies du franco-belge Damien Jalet - nombreuses sont les références à Pina Bausch, Sasha Waltz - offre une nouvelle dimension à l’histoire que ne possédait pas l’original d’Argento. Luca Guadagnino s’attache à l’observation du corps humain en mouvement dans une vision alternative de la psyché humaine transcendée dans la chair, corps empêché, corps délivré.





Intriquant intimement la monstruosité et la beauté, le long-métrage de Luca Guadagnino s’attache à développer des ambiances d’angoisses horrifiques portées par la multiplication des phénomène surnaturels. Seule la résolution en forme de climax versera vraiment dans la violence graphique. Ce n’est que dans la dernière partie du film que le réalisateur se laisse tenter par une esthétique plus baroque qui renvoie directement à l’oeuvre d’Argento avec un climax expressionniste baigné dans des nuances de rouge. Il cultive avec art les atmosphères oniriques auxquels contribuent puissamment la musique planante signée Thom Torke (Radiohead) au fort pouvoir évocateur. La mise en scène et les effets de montage tout en ellipses et mystères non résolus mettent à contribution l’imaginaire du spectateur. A travers ces images d’inspiration surréaliste, le cinéaste tisse progressivement une esthétique psychédélique. Cauchemar vivace, Suspiria est un rêve fiévreux fascinant.

Suspiria de Luca Guadagnino
Avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth, Alek Wek, Chloë Grace Moretz, Ingrid Caven, Jessica Harper, Elena Fokina, Sylvie Testud
Sortie le 14 novembre 2018 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.