Théâtre : La machine de Turing, de Benoît Solès - Avec Benoît Solès, Amaury de Crayencour - Théâtre Michel



En 1952, Alan Turing, professeur de mathématiques à l’Université de Manchester et au King’s College de Londres, porte plainte à la suite d’un cambriolage. L’enquête met à jour l’implication d’un ancien amant du mathématicien. Convoqué au commissariat par l’inspecteur Mick Ross, Turing se retrouve victime acculée, sommée de se défendre et de justifier son intimité. Alan se souvient des grands instants de son existence. De sa jeunesse de génie précoce marquée par la mort tragique de son ami Christopher Morcom. Il se remémore comment il a été recruté par les services secrets britanniques durant la Seconde Guerre Mondiale afin d’aider à décrypter le code, réputé inviolable et utilisé par les sous-marins allemands, de la machine de chiffrement Enigma. Il se rappelle de la recherche mathématique à laquelle il a voué sa vie, ses travaux précurseurs qui fondent scientifiquement le concept d’intelligence artificielle et d’ordinateur. Alan Turing évoque également sa vie privée, celle d’un passionné de course à pied, fasciné par l’histoire de la pomme de Blanche-Neige, obnubilé par l’idée d’expliquer l’ordonnancement du monde par les mathématiques dans la lignée de la suite de Fibonacci qui correspond à la façon dont est formée la coquille de l’escargot ou la pomme de pin.





Hommage au brillant scientifique que fut Alan Turing (1912-1954) mais également à l’être de chair en proie à un système rétrograde, la pièce signée Benoît Solès s’inscrit dans une démarche militante inspirée qui ne renie pas la dimension humaine d’un destin captivant. L’auteur s’attèle à mettre en lumière le désarroi d’une intelligence exceptionnelle, sa dignité et son courage, face à l’hypocrisie de la société. 

Afin de sortir de l’oubli cette grande figure des mathématiques, Benoît Solès s’est inspiré des nombreuses publications récentes, qui ont fait suite en 2013 à la réhabilitation et à la grâce à titre posthume d’Alan Turing par Elisabeth II. La construction narrative en analepses évoque avec force les épisodes marquants d’une vie, celle d’un visionnaire, inadapté à la médiocrité du monde. Ce portrait sensible rend justice à un homme incompris, héros de l’ombre et martyre. Précision et fluidité confèrent une belle efficacité à la dramaturgie dont l’humour porte la marque d’une émotion sincère. Il est impossible de ne pas s’attacher à ce personnage d’illuminé sensible et complexe.





Sur le plateau du Théâtre Michel, le travail de scénographie d’Olivier Prost exploite avec intelligence et pertinence les possibilités d’un écran géant sur lequel sont projetées archives et équations qui viennent éclairer le texte de la pièce. La mise en scène de Tristan Petitgirard se prolonge rigoureuse et rythmée à travers une direction d’acteurs au diapason. 

Les comédiens incarnent avec sensibilité les protagonistes d’une histoire aussi fascinante que tragique. Amaury de Crayencour se glisse avec une grande plasticité dans la peau des personnages qui croisent le chemin du génial scientifique. Benoît Solès, silhouette nerveuse, rire étrange et léger bégaiement, prête ses traits à un Alan Turing lunaire, isolé dans un monde d’abstraction et dont la puissance intellectuelle fascine autant qu’elle déroute. 




Au fil d’un itinéraire brisé par un procès inique, la figure d’Alan Turing apparaît comme le pendant scientifique du littéraire Oscar Wilde. Toute sa vie, le mathématicien aura été privé de la gloire pour service rendu à la patrie. Son rôle primordial lors de la Seconde Guerre Mondiale, ne sera révélé que tardivement, l’opération de déchiffrement d’Enigma demeurant soumise au secret défense jusque dans les années 1970. En 1952, la condamnation pour homosexualité - homosexualité illégale au Royaume-Uni jusqu’en 1967 - place définitivement Alan Turing dans l’ombre de l’Histoire. Ecarté des plus grands projets scientifiques, contraint de choisir entre la réclusion, durant laquelle il serait privé de ses moyens de recherche, et la castration chimique, il se soumet alors à un traitement hormonal délétère. En 1954, Alan Turing meurt à l’âge de 41 ans. La thèse du suicide est celle qui perdure encore. Une pomme croquée qui aurait été empoisonnée au cyanure est retrouvée sur sa table de chevet. Une légende tenace y voit l’origine du logo de la firme Apple. Avec intelligence et empathie, La machine de Turing de Benoît Solès rend ses lettres de noblesse ainsi que son humanité à un grand homme. 

La machine de Turing, de Benoît Solès
Mise en scène Tristan Petitgirard

Du mardi au samedi à 21h - Le dimanche à 16h
Jusqu’au 31 mars 2019

Théâtre Michel 
38 rue des Mathurins - Paris 8
Tél : 01 42 65 35 02



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.