Lundi Librairie : Swing Time - Zadie Smith



Swing Time - Zadie Smith : Elles ont sept ans, quand deux fillettes métisses, se rencontrent au cours de ballet de Mme Isabel et deviennent bientôt inséparables. Elles rêvent de danse, se passent et repassent en boucle des comédies musicales hollywoodiennes sur magnétoscope. Leur amitié se noue dans un subtil mélange d’envie, d’admiration, de jalousie et de rivalité. Mais si elles partagent la même couleur de peau, les mêmes taches de rousseur, le même quartier populaire de Londres, leurs origines divergent. La mère de Tracey, une femme blanche sans éducation qui vit des aides sociales, l’élève dans le culte des apparences, valorisant exclusivement ses talents physiques. A l’opposé, la mère de la narratrice est une Jamaïcaine engagée, une intellectuelle politisée qui lit Angela Davis et James Baldwin et a choisi de reprendre ses études. Parmi les deux petites filles, c’est Tracey qui attire la lumière. Excessive, audacieuse, elle suit la voie toute tracée de danseuse. Mais cette personnalité autodestructrice va bientôt être rattrapée par le déterminisme social. La narratrice plus effacée malgré ses nombreux dons, est aussi la plus tardive à choisir son destin. Après des études universitaires, elle se retrouve, presque par hasard, assistante personnelle d’une pop star, Aimee, pour laquelle elle a renoncé à toute vie privée. Lorsqu’elle se retrouve dans un village africain, où elle est chargée de surveiller la construction d’une école de filles pour le compte de la chanteuse qui vient de se découvrir des velléités humanitaires, elle se met à douter.

Roman d’apprentissage, sur l’amitié, l’ambition, l’inégalité des chances, Swing Time prolonge la réflexion sociologique entamée par Zadie Smith dans ses ouvrages précédents. Avec nuance et finesse, elle pointe quelques vérités troublantes sur notre société, notamment la reproduction des inégalités sociales, tout en interrogeant la notion d’identité à l’heure de l’ère post-coloniale du métissage et du multiculturalisme. Les trajectoires des deux fillettes évoquent puissamment le poids des origines, de la vie familiale mais également l’importance de l’éducation et des ressources propres à chacun.

Dans un grand chassé-croisé, la trame narrative fragmentée sur plusieurs époque permet de saisir toute la diversité des situations sous des apparences très semblables. Les deux petites danseuses qui rêvent devant Fred Astaire, Ginger Rogers, Jenny LeGon, Bojangles, à la fois identiques et diamétralement opposées, incarnent les grandes interrogations de notre temps. Zadie Smith célèbre la pratique de la danse comme élément qui permet de tisser des liens et de franchir l’infranchissable fossé culturel, alors que la société tente à tout prix de faire entrer les individus dans des cases pour mieux les séparer. Zadie Smith égratigne au passage le mirage de la célébrité avec la figure d’Aimee, mélange de Madonna, Kylie Minogue et Angelina Jolie et épingle avec verve la charité-spectacle.

Swing Time, fresque subtilement politique, est avant tout un roman de l’intime, tendre et cruel, dans lequel Zadie Smith explore toujours plus avant les arcanes de l’âme humaine. Personnage complexe, la narratrice choisit toujours de se trouver dans l’ombre, de Tracey d’abord puis d’Aimee. Et son récit volontiers caustique ne manque pas d’autodérision. Rivalité, soumission, jeux de pouvoir, pour que l’une brille, l’autre doit s’effacer. Derrière le vernis des apparences, les petits arrangements avec la vie et avec la réalité questionnent l’idée d’une existence réussie. 

Swing Time - Zadie Smith - Traduction Emmanuelle et Philippe Aronson - Editions Gallimard du Monde Entier



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.