Inauguré début juillet dans le quartier du Canal Saint Martin, (V)ivre, deuxième du nom après celui ouvert du côté de l’Opéra, a emprunté son joli patronyme, qui sonne comme une invitation, à celui d’un album du jazzman français Henri Texier. Ce nouvel établissement imaginé par Caroline Savoy, fille du chef triplement étoilé Guy Savoy, et son compagnon Bruno Blain, se veut lieu de vie et de partage. En proue de ce beau navire, gastronomie et convivialité suggèrent de se faire plaisir autour d’un bon repas. Le restaurant (V)ivre Canal Saint Martin s’inscrit dans une philosophie du bien manger qui s’y ancre avec souplesse. Il s’agit pour cela de sélectionner avec exigence des produits que la brigade travaillera afin de réaliser des assiettes de qualité, et cependant accessibles. Troussées dans l’esprit terroir et tradition des plats familiaux, celles-ci racontent de belles histoires, celles des hommes et des femmes, les producteurs, les petits artisans avec lesquels Caroline Savoy et Bruno Blain travaillent.
(V)ivre Canal Saint Martin a trouvé nichoir dans un quartier jeune, volontiers festif. Totalement réinventé par Caroline Savoy et Bruno Blain, le vieux commerce parisien dont la vitrine est classée, déploie tout le potentiel de sa séduction. Le parquet d’origine révélé lors des travaux, le bleu canard des murs marque de fabrique de la maison (V)ivre, la note de modernité des étagères en bois réalisées sur mesure par un menuisier-designer, composent un cadre fort et convivial. Dans une atmosphère de bistrot traditionnel retravaillée, tables en bois non nappées, chaises vintage, banquettes en velours orange, les touches contemporaines s’affirment avec panache telles les luminaires très indus, la brique presque apparente ou encore cette superbe oeuvre d’art, un Mickey Mouse de l’artiste TP Hardisty. Ici, les passions des maîtres des lieux, la gastronomie, le whisky, le vin, le jazz et l’art s’expriment haut et fort.
Aux fourneaux, le chef Julien Didier, qui a passé cinq ans chez Ripailles aux Batignolles avant de suivre son destin chez (V)ivre Opéra où il était second, repense la cuisine canaille de la brasserie parisienne en célébrant le produit. Produit qui est livré tous les matins par les partenaires en fonction du cycle de saisonnalité. Le chef impose avec sincérité et générosité une vision d’esthète gourmand. Cette cuisine authentique, Caroline Savoy l’a souhaité entre tradition et modernité. Si les saveurs d’antan, celle de la cuisine de bonne-femme, sont bien présentes, les sauces moins riches, les bouillons très parfumés qui permettent d’alléger les plats, les jus tout en subtilité, la maîtrise impeccable des cuissons, leur donnent un nouveau charme.
La carte courte articulée autour de trois plats, trois entrées, trois desserts est complétée par un semainier, la cocotte à partager, ou pas, où s’inscrivent les fameux plats de grand-maman : le mercredi pot au feu, le jeudi blanquette de veau, vendredi bouillabaisse, samedi rognons. Au menu, toujours au moins un plat végétarien, des entrées proposées également en version plats et les indétrônables trois chouchous de Caroline Savoy et Bruno Blain, ris de veau, côte de bœuf et gratin dauphinois. La carte change tous les mois afin de suivre les saisons selon le credo les meilleurs produits sourcés au meilleur moment. Petits producteurs et artisans sont au cœur du projet (V)ivre qui délivre un message et fait connaître ce travail de passion, la part humaine et le sacerdoce du beau produit. A l’instar de la carte des plats, celle des vins, pensée par Bruno Blain, 100 références, (300 à Opéra), fait l’éloge des terroirs.
Le pain de la Maison Lademaine, qui finit de cuire sur place, un pain de tradition croustillant servi tiède pour saucer les plats accompagne les repas. Le poisson provient des côtes normandes où il est pêché par Misko Esnouf. Les légumes voient le jour dans les Yvelines au Jardin d’Elise et Thierry Riant. Les fromages arrivent selon les spécialités de la ferme Bailly/Blain dans le Cher, la ferme Bertinet à Picherande, la ferme Ris, la ferme Lehmann à Verrières de Joux ou de chez Monsieur Michelin. Jean-François sélectionne les épices à Madagascar, Gilles Brochard les thés. Les tisanes sont signées l’Amante Verte, le café l’Arbre à Café.
La mise en bouche, Fêta recouverte de mousse de poivron et miettes de chorizo, joue sur les textures. Le fondant de la mousse, le croustillant du chorizo titillent gentiment le palais. En entrée, le Gaspacho vert de concombre, crème de chèvre à la menthe, harenga (œufs de harengs fumés) assume la fraîcheur nécessaire au climat estival dans des notes chaudes de coriandre. Le Coquillage, coquillages du moment au bouillon de pommes et purée de céleri, bulle délicatement au fond d’une assiette creuse, dispensant généreusement ses accents iodés.
Quand viennent les plats, Le Poisson, un lieu jaune de ligne rôti et poudre de maquereau, spaghetti de légumes de saison, crème curcuma, ail, jette des éclats nacrés auxquels répondent dans l’écume le croquant des légumes. La subtilité de l’assaisonnement relève joliment la délicatesse de la chair. L’Agneau, Poitrine d’agneau fondante, noisettes torréfiées, polenta croustillante et piperade, s’affirme dans une sensualité toute méditerranéenne. On est mercredi, au semainier la cocotte du moment c’est l’impeccable pot au feu, paleron de bœuf confit, légumes en pot au feu, pickles d’oignons moelle et pain grillé.
Les trois desserts imaginés par le chef pâtissier du (V)ivre Opéra, Alex Rochel, se distinguent par leur présentation, gourmandises en bocaux créées autour des fruits de saison et du chocolat. La Fraise chantilly chantonne les beaux jours dans son voluptueux refuge de crème. La Tartelette au citron destructurée s’étage en nappes successives, éclats de meringue, crumble croustillant, crème au citron acidulée. Le troisième, chocolat banane n’a pas été goûté mais aurait bien mérité quelques hardis coups de cuiller.
Modernité d’un univers où les souvenirs gustatifs d’enfance trouvent toute leur place, cuisine d’émotions, (V)ivre nous parle avec sentiment des beaux jours innocents, du travail des hommes, d’une passion de la gastronomie. Une adresse à découvrir de toute urgence (et ouverte tout l’été !)
Restaurant (V)ivre Canal Saint Martin
60 rue de Lancry - Paris 10
Tél : 01 42 40 73 38
Horaires : déjeuner de 12h15 à 14h30 du mercredi au samedi, dîner de 19h30 à 22h15 du mardi (à partir du 28 août 2018) au samedi. Brunch, le dimanche de 12h00 à 15h30
Menus
- Prendre le temps de (V)ivre, menu en 3 plats, entrée plat dessert : 39 euros ou 59 euros selon le choix des plats
- (V)ivre intensément, menu en 6 services, carte blanche au chef, amuse-bouche, deux entrées, plat, pré-dessert, dessert : 65 euros
- Accord mets-vins, 4 verres : 98 euros
- Brunch le dimanche : 39 euros
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Et rien que pour le plaisir de la musique. (V)ivre, l'album signé Henri Texier et Strada Sextet
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