Cinéma : Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell - Avec Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace



A trente-trois ans, Sam a laissé filer ses rêves à Los Angeles, la ville du cinéma. Résigné, désenchanté, il passe ses journées à boire des bières et fumer des joints tandis qu’il espionne aux jumelles son voisinage et plus précisément les jeunes aspirantes actrices de la résidence de Silver Lake où il habite. Milieu en marge, vie d’expédients, rares cachets, sous le glamour des fêtes branchées en rooftop, cette jeunesse a perdu ses illusions. Les adeptes de la théorie du complot se multiplient. Dans le quartier, la présence d’un tueur de chiens intensifie la paranoïa. Sam s’amourache alors d’une nouvelle venue en quête de gloire, Sarah. Mais la blonde sexy disparaît inexplicablement. Les signes cabalistiques laissés sur le mur de son appartement poussent Sam à se lancer dans une enquête qu’il mène à travers les vapeurs de substances diverses plutôt que de se préoccuper de son avis d’expulsion. 








Polar halluciné dans la grande tradition du mythe de la ville, thriller drolatique teinté d’humour noir, Under the Silver Lake nous offre une plongée dans la psyché d’Hollywood. David Robert Mitchell, nouvelle figure marquante du cinéma américain indépendant, dont le premier film It Follows a été très remarqué, explore Los Angeles sous le patronage de David Lynch et Mulholland Drive. Plutôt que vers le film de genre, son long-métrage tend vers la transe ultra-référencée et impose une vision sardonique du malaise civilisationnel. Impasses, énigmes et désenchantement, le réalisateur ausculte l’emprise de l’industrie du divertissement et plus particulièrement du cinéma sur la culture populaire américaine, démontant le mirage hollywoodien construit sur des mensonges et des images.

Film truffé de références, à l’imaginaire foisonnant, Under the Silver Lake baigne, malgré un style pop réjouissant et une réalisation léchée, dans une atmosphère poisseuse vaguement morbide. Masques mortuaires, légendes suicidées ou fauchées en pleine gloire, cimetière où se trouvent les tombes des grands maîtres, la mort est omniprésente dans cette collection de citations. Dans un grand labyrinthe cinéphile, David Robert Mitchell accumule les pastiches jusqu’à reconstituer très exactement des scènes du dernier film inachevé de Marylin Monroe, Something’s got to give

Evoquant l’histoire d’Hollywood, les idoles et la fantasmagorie des lieux, le réalisateur nous entraîne jusqu’à l’observatoire de La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955), au réservoir de Chinatown (Roman Polanski, 1974). A l’origine, du quartier de Silver Lake se trouvaient les grands studios du cinéma muet, et il y fait apparaître la figure de Janet Gaynor, grande star de l’époque. Aujourd’hui, banlieue résidentielle modeste de Los Angeles, entre Echo Park et Los Feliz, elle doit son nom à un grand réservoir d’eau. Il multiplie les clins d’œil à L’étrange créature du lac noir, film de Jack Arnold réalisé en 1954, ou encore Le Grand Sommeil d’Howard Hawks (1946). Fantômes et fantasmes nourrissent les folies contemporaines des adeptes de la théorie du complot.





Bien au-delà du film hommage, David Robert Mitchell esquisse le portrait d’une génération qui est portée par le sentiment d’avoir été trompé par les promesses fallacieuses de la société du spectacle. Sam à qui Andrew Garfield prête ses traits, impeccable en ado attardé, empêché, impuissant, vit une crise identitaire qu’il tente de fuir par le biais de cette enquête menée en dilettante, dérivatif à l’ennui et au sentiment d’échec social. Il incarne les laissés pour compte du rêve hollywoodien que la survie a rendu cyniques.

Variation de genre acide et mélancolique, Under the Silver Lake est une oeuvre étrange, faussement désinvolte, inaboutie mais passionnante et pleine de promesses.

Under the Silver Lake, de David Robert Mitchell
Avec Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace
Sortie le 8 août 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.