Cinéma : Le monde est à toi, de Romain Gavras - Avec Karim Leklou, Isabelle Adjani, Vincent Cassel



Petit trafiquant sans envergure, François / Farès rêve d’une vie honnête avec femme et enfants, d’un pavillon avec une petite piscine. Pour échapper à son destin criminel, il met soigneusement de l’argent de côté. Il a une grande idée, celle de devenir en toute légalité le distributeur officiel de Mr Freeze au Maghreb.  Mais lorsqu’enfin pour réaliser le deal, il a besoin de ses économies qu’il a confiées à sa mère, Dany, il réalise que cette dernière a tout flambé au jeu. Cheffe d’un gang de femmes pickpockets qui se déguisent en riches épouses du Golfe pour dévaliser les boutiques de luxe, cette mère indigne aussi bling que manipulatrice fait tout pour empêcher son fils de s’émanciper. Afin de se refaire, pressé par le temps, François accepte de mener un go-fast depuis l’Espagne pour Poutine, le caïd de la cité. En compagnie de Lamya dont il est amoureux depuis toujours, d’Henri son ex-beau-père paumé qui vient de sortir de prison, des deux Mohammed, hommes de main de Poutine obnubilés par les théories complotistes, François débarque à Benidorm, station balnéaire de la Costa Blanca.


Comédie de gangsters, efficace et roublarde, "Le monde est à toi" réalisé par Romain Gavras évoque dans sa forme burlesque les premiers films de Guy Ritchie. Inspiré par cet humour narquois so british, irrésistible, le jeune cinéaste porte un regard différent sur le monde de la drogue et des banlieues. Dans l’outrance de la farce à l’italienne, il trouve une force corrosive que viennent souligner les nombreuses références au polar américain, de Scorcese à Tarantino jusqu’à Brian De Palma. Explorant les lieux communs du film de gangsters pour mieux les détourner, le réalisateur impose son deuxième long-métrage comme une sorte d’anti-"Scarface" tout en provocation et inventivité. Hilarant, décalé, sérieusement barré, "Le monde est à toi" brille par la qualité de dialogues savoureux dans la lignée des films de Bertrand Blier et Georges Lautner. 

Romain Gavras, réalisateur de clips et de publicités, règle une mise en scène aussi efficace que rapide portée par une belle énergie burlesque. Démontrant sa pleine maîtrise des codes contemporains dont il s’amuse, il distille dans cette farce pop une bonne dose de grotesque qui flirte avec l’absurde. Et la férocité est à la hauteur de la tendresse. L’intrigue plutôt simple s’oriente vers l’efficacité narrative avec l’idée d’un deal hasardeux, l’engrenage et le dénouement inattendu. "Le monde est à toi" pourrait bien être en fait un film d’apprentissage, avec cette histoire de fils à maman qui cherche à gagner son indépendance. En pointillé, comme autant de repères accrochés au réel, le réalisateur aborde les grands sujets qui agitent notre société, des plus graves aux plus superficiels, les migrants clandestins, le terrorisme, le burkini, les théories du complots, PNL, le néocapitalisme. 

Le scénario fait la part belle aux personnages aussi bêtes et méchants qu’attachants. Galerie de portraits hauts en couleurs, film de bande, "Le monde est à toi" se fait performance collective tant la symbiose entre les comédiens est réussie. Jouant avec les conventions du genre, Romain Gavras casse le mythe sombre et brutal du délinquant en présentant des voyous fragiles et d’autant plus inquiétants qu’ils sont instables. François dont les ambitions sont fondamentalement modestes, est le personnage type dépassé par les évènements qui tente un dernier coup pour s’en sortir et échapper à son destin criminel. A travers cet anti-héros poétique, très joliment porté par un épatant Karim Leklou, la comédie folle trouve un réalisme des émotions qui lui donne tout son relief. 




Le couple mère-fils dysfonctionnel qu’il incarne avec Isabelle Adjani est remarquable. En maîtresse femme acariâtre, personnage auquel la comédienne apporte une folie, une tendresse, une profondeur qui ne doit qu’à son talent, elle est délicieuse, jouant avec son image pour notre plus grand plaisir. Dans la joyeuse bande de pieds nickelés, les seconds rôles sont excellents. Truand qui sort d'ne longue peine prison, déboussolé par le monde moderne, et se rattrape à ce qu’il peut à commencer par les thèses conspirationnistes sur les Illuminati, Vincent Cassel se glisse dans la peau d’Henri avec bonheur. L'acteur joue à fond la carte de l'autodérision et renvoie directement à ses interprétations remarquées dans "La Haine" et "L’instinct de mort." Oulaya Amamra en ambitieuse opportuniste, Philippe Katerine en avocat filou, François Damiens en ancien dealer reconverti dans le trafic d’êtres humains sont également jubilatoires.

Jolie combinaison de talents, "Le monde est à toi" est aussi décapant qu’attendrissant. Un très chouette moment de cinéma. 

Le monde est à toi, de Romain Gavras
Avec Karim Leklou, Isabelle Adjani, Vincent Cassel, Oulaya Amamra, Gabby Rose, Sam Spruel, François Damien, Philippe Katerine, Mounir Amamra, Mahamadou Saengare
Sortie le 15 août 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.