Lundi Librairie : Longues peines - Jean Teulé



Longues peines - Jean Teulé : Cyril Combustat, trop qualifié, trop sensible pour le job, a choisi de devenir surveillant pénitentiaire. Mal dans sa peau, pas fait pour ce métier, il va très vite être dépassé par la réalité monstrueuse des lieux et des êtres. Dans cette prison française, le quartier des hommes fait face au quartier des femmes et les détenus échangent malgré la distance derrière leurs barreaux. Dans la cellule 203, Jacky Coutances, un gringalet fourbe, incarcéré pour le meurtre de trois de ses fiancées, s’est épris d’Elsa alias Corinne Lemonnier, une tueuse d’enfants. Elle se fait passer pour une délicate créature. Il lui fait croire qu’il est un grand blond athlétique, en se décrivant comme son compagnon de cellule Sergueï Kazmarek. Force de la nature, celui-ci est enfermé pour avoir rendu hémiplégique une jeune épousée dont le promis lui avait fait une queue de poisson. Illettré, il correspond par l’entremise de ses codétenus qui lui prêtent leur plume avec une sorte de marraine de prison. Derrière les apparences bonhommes de Pierre-Marie Poupineau, se cachent un pédophile dénoncé par ses belles-filles au décès de leur mère. Instituteur fragile dépassé par les événements, Sébastien Biche a commis l’irréparable lors d’un coup de folie. Dans le quartier des femmes, Nadège Desîles, enfermé pour le meurtre de son enfant, a décrété que le troisième barreau de la fenêtre était son mari. Depuis elle le couvre d’attentions, le nourrit, le câline et refuse que les autres prisonnières l’approche.

Dans la maison d’arrêt, le quotidien est rythmé par les départs et les arrivées, les nouveaux délits, les nouveaux crimes. Meurtre, infanticide, pédophilie, trafic de drogue, ce microcosme désespéré est hanté par le passé dont personne ne se libère. Détenus et surveillants souffrent chacun à leur façon. Le milieu carcéral, terreau dramatique par excellence, lieu de solitude et de folie, de promiscuité étouffante et d’horreurs, trouve sous la plume de Jean Teulé une dimension cocasse. Le romancier a l’art de restituer les drames en quelques traits de pinceaux, quelques mots. L’important travail de documentation qui l’a mené à écrire ce texte lui apporte une forme de réalisme prégnant auquel l’auteur prête son humour très noir, sa fantaisie désenchantée.

Idylles, espoir, amour, mensonges, dépression, dans cet univers étouffant, les règles officielles se confrontent aux codes officieux des détenus. Ici tout à un prix, rien n’est gratuit. Et la vie en communauté ressemble à un huis surpeuplé. Petites vengeances et mesquineries prennent des dimensions dantesques. La langue est crue, moderne, efficace. Jean Teulé creuse les douleurs tandis qu’il glisse des notes légères qui rendent paradoxalement le texte encore plus corrosif. 

Tragi-comédie poisseuse, sur le fil, toujours sur le point de basculer vers l’horreur absolue Longues peines oscille entre le sordide et la truculence, entre drame et fantaisie. La construction romanesque allège le récit, le rendant moins plombant que la réalité même. L’angoissante atmosphère d’enfermement, la claustrophobie latente rend tous les personnages cinglés. Jean Teulé, toujours grinçant, campe des anti-héros contrastés avec empathie et compassion. Capable de souligner toutes leurs ambiguïtés, il les rend attachants malgré la monstruosité de leurs actes, révélant leur humanité. 

Le politiquement correct, la morale bourgeoise, font place à la sincérité. Avec finesse et beaucoup d’humour, l’auteur trouve le moyen d’exprimer toute la tragédie de la condition humaine.

Longues peines - Jean Teulé - Editions Julliard - Edition de poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.