Cinéma : Dogman, de Matteo Garrone - Avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari Calabria - Par Didier Flori



Attention chien méchant ! On n’a pas vraiment envie de s’approcher de l’American Bully qui aboie avec férocité face caméra. Marcello doit pourtant le laver, et progressivement parvient à dompter la bête, avec un calme impressionnant. Toiletteur dans une banlieue déshéritée, il communique sa douceur à des animaux qu’il appelle ses "amours". Complice avec sa jeune fille, il s’entend bien avec les commerçants des boutiques voisines. Mais ces derniers s’inquiètent de plus en plus du comportement de Simone, une brute épaisse que personne ne semble en mesure de contrôler. Il oblige Marcello à lui fournir de la drogue, et le recrute un soir à son corps défendant comme chauffeur d’un cambriolage.





Consacré à Cannes avec son grand prix pour Gomorra, Matteo Garrone revient dix ans plus tard à une veine de film noir similaire. Cependant tandis que le premier film offrait une vue en coupe des activités sordides de la Camorra napolitaine, Dogman est le portrait individuel d’un homme pris dans un engrenage de violence. Le cinéaste s’est inspiré pour le récit d’un fait divers sanglant qui a traumatisé l’Italie en 1980, mais s’en est détaché par la suite pour proposer un conte noir à la portée universelle. Garrone ne se veut pas moralisateur, et traite plutôt du mécanisme qui peut conduire chacun à être pris au piège à force de choix faits pour survivre.

Face au décor de banlieue laissée à l’abandon, on pense aux Accatone et Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini. Victime d’un même déterminisme social que les héros pasoliniens, Marcello est un personnage de tragédie qui ne peut échapper à son destin implacable. On a pourtant envie de croire à son salut, et le récit ménage dans un premier temps des moments apaisés. Marcello rêve ainsi à des excursions sous-marines avec sa fille et partage généreusement un repas avec son chien. On a foi en un miracle qui peut encore se manifester lors d’une séquence de réanimation émouvante, qui semble nous dire que le mal fait peut être réparé.





C’est compter sans la présence physique monstrueuse de Simone, campé par un Edoardo Pesce à la carrure imposante. Chaque irruption de ce tortionnaire est parcourue de la tension d’un désastre imminent, et Garrone joue avec efficacité de la puissance animale de cette force de la nature. On ressent avec douleur chaque coup porté à Marcello, chaque intimidation comme une étape supplémentaire vers une chute inéluctable. Dans la description du lien entre les deux hommes, le cinéaste sait aussi se montrer ambigu. Il évoque l’attrait du toiletteur pour le mode de vie que lui fait miroiter le voyou et suggère un rapport d’emprise et de dépendance qui le pousse à le protéger et à lui accorder sa confiance contre tout bon sens.  




Lauréat du prix d’interprétation au dernier festival de Cannes, Marcello Fonte incarne le malheureux héros de Dogman avec un engagement sans faille. Choisi par Garrone pour "sa douceur et son visage antique qui semble venu d’une Italie en train de disparaître", l’acteur porte aussi les contradictions et les ambivalences d’un homme ordinaire dont l’hubris est de se croire toujours maître de sa situation. Le plan final sur son visage, à l’issue de l’éprouvant dénouement du calvaire qu’il a traversé, nous hante longtemps après la vision de ce film intense et désespéré.

Dogman de Matteo Garrone
Avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari Calabria
Sortie le 11 juillet 2018



Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion pour le 7ème art qui l'anime.