Théâtre : Darius, de Jean-Benoît Patricot - Avec Clémentine Célarié, Dominique Pinon - Comédie des Champs Elysées



Darius, dix-neuf ans, est atteint d’une maladie neurodégénérative qui peu à peu le prive de tous ses moyens. Lui qui aimait tant voyager est aujourd’hui cloué dans un fauteuil, aveugle, ne pouvant plus communiquer que par le toucher. Il lui reste aussi l’odorat. Claire, sa mère, chercheuse au CNRS, a une intuition. C’est par ce sens, sa puissance d’évocation, qu’elle va permettre à son fils de vivre une dernière aventure lointaine. Elle prend contact avec Paul, un grand parfumeur, le seul nez capable de retranscrire par les fragrances les lieux et les souvenirs. Mais ce dernier, retiré du monde après le décès de son épouse, a renoncé à la création, incapable de surmonter son deuil. S’il refuse tout d’abord d’apporter son aide à Claire, le projet fou de cette mère courage va le séduire comme un merveilleux défi olfactif. Ensemble, ils récréent les senteurs de Rochefort sous la pluie, l’odeur du métro parisien, l’émotion des parfums de Rome.






Rencontre épistolaire inattendue entre deux êtres blessés, frappés par le destin, Darius est une oeuvre singulière construite autour de la jolie idée du parfum comme réceptacle de nos souvenirs heureux. Jean-Benoît Patricot signe un texte dont la sobriété n’a d’égale que l’intensité. Cette correspondance qui ne manque pas d’humour est marquée par une rare finesse psychologique. Amour maternel, compassion, grands et petits moyens de conjurer la douleur, la perte de l’être aimé, la pièce se déploie, partition subtile comme une fragrance. Le thème du handicap, évoqué avec pudeur et sensibilité, amène sans pathos ni sensiblerie le spectateur à dépasser ses préjugés.

Darius se pose en défi théâtral qui mène à retranscrire sur scène le monde des parfums et leur pouvoir, ce voyage intérieur des sens. Pour donner une dernière chance au jeune homme handicapé de sentir le monde, de communiquer avec celui-ci, Claire et Paul se lancent dans un processus ambitieux qui consiste à identifier les senteurs les recomposer afin de donner naissance à des odeurs comme autant de réminiscences des lieux visités, des personnes croisées. La mémoire olfactive devient thérapie et permet aux personnages de se reconstruire. Refusant de se résigner, allant à l’encontre de la fatalité, la scientifique et le parfumeur retrouvent ensemble le goût de vivre dans ce projet commun qui leur permet d’accepter le deuil.




La mise en scène élégante Anne Bouvier matérialise l’échange épistolaire par l’évolution des comédiens autour d’un orgue à parfums central sur plusieurs plans séparés par un invisible écran. Les jolies trouvailles scénographiques d’Emmanuelle Roy complètent ce dispositif d’atmosphère auxquelles les lumières signées Denis Koransky apportent une dimension onirique.

Les personnages portés avec conviction et sensibilité par deux comédiens émouvants qui explorent avec une grande tendresse, une vaste palette de sentiments. Digne face à la tragédie, celle d’affronter la déchéance physique de son enfant et l’irrémédiable fin, Claire seule face à son désarroi est incarnée avec intensité par Clémentine Célarié. Forte, vivante, la comédienne est dans la vérité de l’énergie intériorisée, la retenue et le naturel. Face à elle, Dominique Pinon est un Paul bourru, touchant, d’une belle sincérité.

Ode à la tolérance, à l’acceptation de la différence et au dévouement maternel, Darius va au-delà en célébrant la dimension universelle et proustienne de l’odorat. Intimement lié à la mémoire, la puissance d’imaginaire de ce sens se transforme dans la pièce en force de vie. Un beau moment de théâtre.

Darius, de Jean-Benoît Patricot
Mise en scène Anne Bouvier
Avec Clémentine Célarié et Dominique Pinon

Scénographe - Plasticienne : Emmanuelle Roy
Musique : Raphaël Sanchez
Lumières : Denis Koransky

Représentations exceptionnelles à partir du 23 juin 2018
Du mardi au samedi à 20h30
Dimanche à 16 h

Comédie des Champs Elysées
15 avenue Montaigne - Paris 8
Réservations : 01 53 23 99 19



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.