Théâtre : Old Times de Harold Pinter - Avec Marianne Denicourt, Adèle Haenel, Emmanuel Salinger - Théâtre de l'Atelier - Paris 18



Dans leur villa en bord de mer, Deeley et son épouse Kate attendent la venue d'Anna qui fut la colocataire de cette dernière, vingt ans auparavant. Modestes secrétaires à Londres, insouciantes et très courtisées, les deux femmes étaient fascinées par le monde des artistes, des comédiens qu'elles croisaient dans les pubs, les clubs branchés. Alors que Deeley et Kate évoquent cette époque, Anna qui a fait le voyage depuis Taormina est déjà là. Elle les écoute, sait tout de leur histoire mais ils ne la voient pas encore, ne l'entende pas, présence fantomatique du passé. Deeley prétend ne pas la connaître. Kate laisse échapper des indices sur l'ambiguïté de leur relation. Lorsqu'Anna se joint à eux, la conversation dérive sur des révélations énigmatiques alors que les souvenirs entrechoqués refont surface.





Le théâtre taiseux tout en sous-entendus de Harold Pinter s'exprime à travers cette pièce exigeante dans laquelle l'atmosphère de flottement est percée de fulgurances sans que le mystère ne soit jamais tout à fait élucidé. Rythme singulier, longueurs et silences, scènes de chant baroques prolongent la sensation d'un onirisme inquiétant que suggérait le décor soigné et le travail de vidéo. Plongé dans une sorte d'évanescence délétère, Old Times est une variation équivoque sur le thème du couple.

Le récit baigné d'étrangeté fait croître progressivement un malaise au cœur duquel se retrouve les obsessions des personnages. Sous une apparence policée, la violence sous-jacente des rapports entre les personnages qui s'acharne à remonter le temps, se dévoile. La tension est électrique, l'absurde jamais très loin. Dans une nouvelle traduction de Séverine Magois, la pièce plus connue sous le titre français de C'était hier, trouve dans la mise en scène de Benoît Giros une qualité d'opacité qui s'éclaire progressivement, puzzle reconstitué d'une énigme partiellement résolue par le dénouement tragique.  




Adèle Haenel, trouble amie d'un autre temps, mise modeste et extrême jeunesse alors qu'Anna a quarante ans ce qui ajoute à son étrangeté, joue en décalage, phrasé et gestuelle pointant vers une volontaire dissonance. Lumineuse, Marianne Denicourt, voix placée, sobriété, retenue est d'une beauté frappante, d'une justesse rare tandis qu'Emmanuel Salinger, personnage plus fragile, se soumet à l'autorité des deux femmes.

Fausses pistes, flash-backs, mystère déstructuré, menace latente, Old Times soulève beaucoup d'interrogations, rêve et réalité intimement mêlés.

Mise en scène : Benoît Giros
Avec : Marianne Denicourt, Adèle Haenel, Emmanuel Salinger
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche matinée à 15h

1 place Charles Dullin - Paris 18
Réservations : 01 46 06 49 24



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.