Tar Baby - Toni Morrison : A la fin des années 1970, Valerian Street, riche industriel de Philadelphie qui a fait fortune dans la confiserie, prend sa retraite dans les Caraïbes sur l'Isle des Chevaliers. Son épouse Margaret, ancienne reine de beauté, dont le goût des mondanités ne l'a jamais quitté, s'ennuie ferme. Ondine, la cuisinière et Sydney, le majordome, un couple de domestiques africains-américains à leur service depuis toujours, les ont suivis jusque-là. Tandis que Valerian se passionne pour sa serre où il fait pousser des plantes du Nord à l'abri du climat tropical et leur joue de la musique, Margaret vit la situation comme un exil, une relégation, d'autant que leur fils, Michael, fait tout pour éviter de leur rendre visite. A l'approche de Noël, il semble que les festivités se dérouleront en petit comité. Si la femme de Valerian espère toujours que Michael viendra, seule Jadine, la nièce de Sydney et Ondine fait son apparition. La belle jeune femme qui a pu suivre des études grâce à la générosité des Street est aujourd'hui mannequin et partage son temps entre Paris et New York. Quand Fils, un vagabond noir au passé trouble débarque clandestinement sur l'île et trouve refuge dans la propriété, sa troublante présence révèle les tensions raciales larvées sous les apparences idylliques.
Roman sensuel, mystérieux et tendu, Tar Baby se déploie dans le cadre splendide d'une île dont l'opulente nature fait songer au jardin d'Eden. Mais dans ce paradis, les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être. Questionnant l'identité, le statut de la femme, la marge, le racisme qui ne dit pas son nom, Toni Morrison incorpore à son récit une forme de réalisme social que la poésie magique du conte, du mythe teinté d'animisme vient colorer de façon vivace. Le propos complexe, multiple, met en lumière la nécessité de préserver la mémoire collective, de renouer avec l'héritage identitaire pour parvenir à vivre ensemble. Entre Jadine, femme instruite intégré dans un monde de Blancs et Fils, qui porte en lui toutes les rancœurs, les révoltes, le désir de liberté des africains-américains, l'amour est rendu impossible par les traumatismes de l'Histoire.
Les débats passionnés entre les personnages, interrogent les tensions raciales et la condition des africains-américains dans une Amérique post-ségrégation. Fils est malgré lui le révélateur de l'inconscient fossé entre les patrons blancs et les employés noirs, les invités. Il est ce Tar Baby auquel fait référence le titre du roman, ce Tar Baby qui renvoie à une fable du folklore américain mais également aux terribles mots d'argot pour désigner de façon péjorative les africains-américains.
Avec un sens du détail, de la caractérisation, Toni Morrison, toujours dans une profonde empathie avec ses personnages, s'approprie les archétypes pour construire des protagonistes à la finesse psychologique remarquable, jusqu'aux rôles secondaires tout aussi épais que les héros de ce drôle de conte. A la puissance littéraire de l'écrivain se mêlent le talent de la conteuse, sa poésie, son lyrisme. La romancière tisse une longe métaphore sur la condition des africains-américains, et dans cette écriture symbolique qui retentit telle une nouvelle mythologie résonne l'écho de la fin des illusions. La douleur des luttes d'émancipation et les compromis.
Tar Baby - Toni Morrison - Traduction Jean Guiloineau - Editions Christian Bourgois - Edition de poche 10/18
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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