Théâtre : La Séparation, de Claude Simon - MES Alain Françon - Théâtre de la Porte Saint Martin - Jusqu'au 4 janvier 2026

Crédit Jean-Louis Fernandez 

Dans une maison bourgeoise, une cloison sépare deux cabinets de toilette, contigus, placés en miroir. Deux couples de générations différentes contemplent l'échec de leur mariage. D'un côté, un couple âgé. Sabine, flamboyante et gouailleuse, a sombré dans l'alcool pour oublier les infidélités chroniques de son époux Pierre, vétéran de la Première Guerre Mondiale, professeur de philologie à l'université, fils de paysans, transfuge de classe. De l'autre côté du mur, Georges, leur fils, et Louise, leur belle-fille, se drapent dans une hostilité quasi muette. Georges, cynique, lâche, se positionne contre tout ce que représente ses parents, notamment contre leur ascension sociale. Au grand désarroi de sa conjointe, il souhaite un retour à la terre, revenir aux racines paysannes de la famille. Le ressentiment ronge Louise, blessée, qui envisage de le quitter pour rejoindre son amant. Mais la tendresse que Louise éprouve pour la vieille tante Marie la retient encore. À l'étage, cette dernière n'en finit pas d'agoniser, veillée par une garde-malade bossue, présence spectrale inquiétante. 



Claude Simon, figure du Nouveau roman, Prix Nobel de littérature en 1985, compose en 1963 une variation théâtrale, du roman "L'Herbe" publié en 1951 aux éditions de Minuit. Échec critique lors de sa création, la pièce n'avait pas été montée depuis. Les éditions du Chemin de fer publie à nouveau le texte en 2019. Avec virtuosité, Claude Simon manie férocité et outrance mâtinées d'humour noir. L'apparente simplicité des scènes quotidiennes prend une dimension tragi-comique dans la volupté des mots, l'élégance d'une langue complexe au style ciselé. L'intensité de l'écriture confère une amplitude inattendue aux non-dits, aux silences. Le doute, la culpabilité, la séparation, le deuil, l'adultère 

Alain Françon orchestre ici un huis clos cruel, dont la mise en scène rythmique s'épanouit dans une atmosphère asphyxiante, irrespirable. L'inaction du temps suspendu entre deux états, la vie et la mort, ravive les souvenirs rances, les aigreurs, amplifie le sentiment d'enfermement. Un parfum de putréfaction, odeur de la mort, effluve écœurante des poires qui pourrissent sur l'arbre dans le verger, flotte sur cette maison bourgeoise d'apparence si lisse. 

Prise de risque, invention et lâcher-prise, les cinq comédiens livrent une partition sensible, impeccable. Catherine Heigel incarne Sabine, personnage de femme âgée extravagante, haute en couleur, avec une humanité exubérante, la tendresse d'un clown triste. Alain Libolt, grimé, à peine reconnaissable, barbu, rembourré, est remarquable dans le rôle de Pierre, ancien séducteur à la silhouette désormais lourde. 

Le couple de Louise et Georges s'inscrit dans la rancœur qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. Léa Drucker, toute en grâce déchirante, interprète avec nuances, Louise, femme adultère meurtrie, désorientée. Face à elle, Pierre-François Garel campe, très convaincant, un Georges, veule, insupportable. Dans le rôle de la garde-malade, Catherine Ferran, hante la maison, glaçante, fantomatique. 

L'intime s'incarne dans les jeux de miroir, les couples se font face, incarnation du passé et du futur de l'un de l'autre, image troublante des cycles de la vie. Les espaces de l'entre-deux, la réalité et le rêve, sont le décor des désillusions, des souffrances où la vitalité du désespoir se confronte au désir et au deuil. Formidable soirée de théâtre. 

La séparation, de Claude Simon
Jusqu'au 4 janvier 2026
Du mercredi au vendredi à 20h, samedi à 20h30, dimanche à 16h

Mise en scène Alain Françon
Avec Léa Drucker, Catherine Hiegel, Catherine Ferran, Pierre-François Garel et Alain Libolt
Assistante mise en scène Franziska Baur
Décor Jacques Gabel
Lumières Jean-Pascal Pracht
Maquillages coiffures Cécile Kretschmar
Costumes Pétronille Salomé
Chorégraphe Cécile Bon
Musique Marie-Jeanne Séréro
Accessoires Stéphane Bardin

Théâtre de la Porte Saint-Martin
18 boulevard de la Porte Saint-Martin - Paris 10
Tél : +33 1 42 08 00 32



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.