Par une nuit glacée de 1609, le père Lamandre découvre dans la cour du presbytère une fillette de six ans, affamée, couverte de boue, portant des traces de violence. Traumatisée, elle refuse de dire son nom et ce qui lui est arrivé. Elle a assisté au meurtre sauvage de sa mère de noble lignage, Anne de Breuil épouse du défunt sieur Backson, et sa nourrice par un oncle désireux de s'emparer de l'héritage. Le religieux prend sous son aile l'orpheline, Charlotte-Anne, qui manifeste très tôt un don pour l'étude des sciences, la botanique ainsi qu'un goût pour la littérature. Afin de lui donner l'éducation qui convient à une jeune fille de son rang, le père Lamandre l'envoie au couvent. Lorsque le vieil homme meurt, il lègue ses modestes biens à l'adolescente et fait en sorte de la doter.
Anne est alors placée sous la tutelle, d'un jeune prêtre dévoyé. Il abuse de son innocence - elle a quatorze ans - avant de s'enfuir avec sa dot et de connaître, une fois défroqué, une fin honteuse. Le frère de celui-ci, bourreau de Lille, retrouve Anne et se venge sur elle de la déchéance de sa famille. Il la marque au fer rouge d'une fleur de lys infamante, réservée aux prostituées et aux criminelles. Elle parvient à la dissimuler au comte Olivier de la Fère, futur Athos, qu'elle épouse bientôt. Lorsqu'il découvre la cicatrice au cours d'un accident de chasse, il tente de la tuer en la pendant, nue au milieu de la forêt. Sauvée in-extremis par la tante du comte de la Fère, Anne s'enfuit en Angleterre en reprenant son identité de Charlotte Backson. Devenue espionne pour la France à la cour de Jacques Ier, elle y fait la connaissance du comte de Winter.
Adélaïde de Clermont-Tonnerre signe un roman de cape et d'épée porté par un souffle épique. Elle s'empare du personnage imaginé par Alexandre Dumas dans "Les Trois mousquetaires" (1844), et réinvente son histoire dans un véritable plaidoyer en faveur de cette femme dans un monde d'hommes.
Alexandre Dumas a tissé la légende noire de Milady, émissaire de Richelieu, agent double, ennemie jurée de ses héros, femme fatale, duplice, maudite, redoutable. Condamnée à mort par décapitation lors d'un simulacre de procès mené par douze hommes, sans possibilité de se défendre, ils lui refusent même une sépulture, sa dépouille jetée à la rivière. Adélaïde de Clermont-Tonnerre s'insurge contre cette injustice profonde, l'ignominie de son sort. Sous sa plume, la Milady honnie de Dumas se révèle Anne de Breuil et Charlotte Backson, très jeune femme en révolte contre l'oppression des hommes. La romancière change de point de vue. Elle adopte le prisme féminin contemporain et éclaire sous un jour alternatif ce personnage complexe au destin tragique, regard nouveau porté sur une époque cruelle.
Adélaïde de Clermont-Tonnerre réunit les modestes indices fournit par Dumas sur le passé de Milady et y associe des inventions personnelles pour donner chair à son passé. Plume fluide, verbe alerte, elle soulève les voiles, entretient la fougue d'un récit haletant. La narration polyphonique enrichit le texte de nuances introspectives. Les voix des témoins se font entendre en alternance, d'Artagnan qui doute encore, quarante années après la disparition de Milady, Athos drapé dans sa violence, le comte de Rochefort, épris...
Les épreuves surmontées par cette femme suscitent l'empathie, les émotions, peur, colère. Libre, intrépide, Anne refuse de se plier à la violence des hommes à laquelle elle est confrontée dès son enfance. Elle est une survivante. La romancière ne fait pourtant pas l'impasse sur ses ambivalences. Elle manie l'ombre et la lumière pour détourer avec une grande finesse la psychologie de cet esprit fort. L'histoire est écrite par les vainqueurs. Milady bafouée, Adélaïde de Clermont-Tonnerre rend justice à cette figure de la littérature et lui rend une stature d'héroïne tragique, d'aventurière insoumise.
Je voulais vivre - Adélaïde de Clermont-Tonnerre - Éditions Grasset
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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