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Crédit Christophe Raynaud de Lage |
Louis, trente-quatre ans, malade, va mourir. Installé en ville, transfuge de classe, homosexuel, il a pris ses distances avec sa famille. Après une absence de douze ans, il se rend, en pleine crise existentielle, à la campagne pour leur annoncer sa maladie et son décès prochain. Le retour inattendu dans la maison d'enfance est diversement accueilli. Le malaise imprègne les retrouvailles. La Mère s'aveugle vis à vis de son fils favori, plongée par sa cette visite dans la nostalgie d'une époque révolue et le bonheur illusoire du vivant du père. Elle entretient des rapports difficiles avec son cadet, Antoine. Celui-ci a été contraint d'endosser le rôle "d'homme de la famille" au décès du père. Il ne manifeste qu'hostilité reprochant à son aîné d'avoir fui ses responsabilités et se montre jaloux de l'accueil enthousiaste que Suzanne, la petite soeur de vingt-trois ans, lui réserve. En manque d'amour, elle tente de rattraper le temps perdu en monopolisant Louis. Ce dernier ne connait pas sa belle-sœur, Catherine. Il ne s'est pas déplacé à l'occasion du mariage d'Antoine. Devant la férocité des accrochages, la charge des tensions familiales, elle se sent pièce rapportée. Elle peine à trouver sa place tandis qu'elle tente timidement de se rapprocher de Louis.
Dans cette pièce publiée en 1990, Jean-Luc Lagarce (1957-1995), se sachant séropositif et condamné, faute de traitement adapté, réemploie des éléments autobiographiques pour nourrir une histoire familière, le retour du fils prodigue. En 2016, le réalisateur Xavier Dolan a signé une adaptation cinématographique avec une distribution flamboyante, notamment Gaspard Ulliel dans le rôle de Louis.
Au théâtre de l'Atelier, Johanny Bert met en scène ce texte puissant traversé par l'ombre de la mort. En toile de fond de "Juste la fin du monde", la tragédie de l'épidémie de sida, toute une génération décimée entre les années 1980-90, une époque à laquelle un diagnostic résonne comme une condamnation, confère une atmosphère particulière à cette pièce. La scénographie esthétique de Johanny Bert souligne l'espace fantomatique de l'introspection et des non-dits. Le décor d'objets suspendus, mobilier, électroménager, vélo, sac de frappe, symbolisent autant de traces du passé. Ils descendent pour évoquer tour à tour un salon, une salle à manger, une cuisine. La maison familiale à la campagne ainsi recrée vient suggérer l'isolement d'un monde figé pour lequel Louis est désormais étranger.
Le silence concernant la maladie, l'homosexualité et l'amertume contraste avec la véhémence des doléances, les reproches vis-à-vis de la personnalité de Louis et de sa désertion. Jean-Luc Lagarce construit les oppositions entre les frères, Louis, l'urbain, Antoine le rural, nourrit la distance entre eux du fait de leurs positions. L'importance des mots, de la parole et du manque d'échange prend forme dans les longues tirades aux airs de monologues. Il s'y dit les difficultés de communication avec sa famille, la gêne d'avoir à formuler l'inéluctable.
Vincent Dedienne dans le rôle tragique de Louis qui fait face à l'éminence de la mort, prend le parti de la grande sobriété, d'une sensibilité qui s'épanouit pleinement dans l'émotion vibrante de l'épilogue. Christiane Millet incarne avec nuances une mère tout à la joie de retrouver son fils perdu et qui refuse de voir la vérité en face. Céleste Brunnquell joue une Suzanne, la sœur qui reproche à Louis son absence et l'accapare, aussi touchante qu'agaçante. Loïc Riewer est convaincant dans la peau d'Antoine, le frère cadet, complexé, vindicatif, toujours sur le point de basculer dans la violence. Astrid Bayiha est impeccable en Catherine, la belle-sœur discrète, sensible, lucide.
Juste la fin du monde
Jusqu'au 22 mars 2025
Du mercredi au vendredi à 21h - Samedi à 15h et 21h - Dimanche à 16h
Texte Jean-Luc Lagarce (Les Solitaires Intempestifs)
Mise en scène et scénographie Johanny Bert
Avec Astrid Bayiha, Céleste Brunnquell, Vincent Dedienne, Christiane Millet, Loïc Riewer et, en alternance, les marionnettistes Kahina Abderrahmani et Élise Cornille
Assistante à la mise en scène Lucie Grunstein
Assistant à la scénographie Grégoire Faucheux
Création musicale Guillaume Bongiraud
Création sonore Marc De Frutos
Création lumières Robin Laporte
Création marionnette Amélie Madeline
Création costumes Alma Bousquet
Accessoiriste Irène Vignaud
Production Théâtre de l’Atelier
Coproduction Théâtre de la Croix-Rousse
En partenariat avec le Théâtre de Romette
Avec le soutien de l’Institut International de la Marionnette dans le cadre de son dispositif d’aide à l’insertion professionnelle des diplômés de l’ESNAM
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin - Paris 18
Tél : +33 1 53 41 85 60
Métro Anvers ligne 2
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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