Alain se promène au jardin du Luxembourg parmi les statues des reines de France, s'étonnant de la mode hautement érotique des nombrils exhibés. Il croise Ramon, un séducteur invétéré mais marié, venu découvrir l'exposition consacrée à Chagall au Musée du Luxembourg. Celui-ci renonce devant la file d'attente interminable et rejoint Charles. Organisateur de soirées privées, ce dernier nourrit le projet farfelu d'écrire une pièce pour le théâtre de marionnettes relative à une anecdote lue dans un ouvrage de Nikita Khrouchtchev, image improbable d'un Staline plaisantin face à son entourage terrifié de rire inopportunément. À l'occasion du cocktail de D'Ardelo, Charles a engagé son ami Caliban, acteur raté qui n'a pas joué depuis des années, en tant que serveur. Caliban conscient d'être "le laquais des snobs" se compose par dérision une identité, personnage de Pakistanais ne parlant pas français. Lors de cette fête, pince-fesse mondain, foire aux vanités, D'Ardelo s'invente un cancer afin d'attirer l'attention, susciter la compassion et de se trouver au centre des conversations.
Milan Kundera capture les affres de la condition humaine mais se refuse au naturalisme. L'intrigue quasi inexistante se nourrit des conversations, des réflexions au gré de thématiques caractéristiques de l'oeuvre de Kundera, l'amour, la séduction, le désir auxquelles le romancier ajoute la disparition de la mère, la médiocrité des tyrans et un meurtre presque anodin. Le romancier prend le parti esthétique et philosophique de la désinvolture, la nonchalance, aussi déroutant que délicieux.
Les quatre hommes "insignifiants", acteurs de cette comédie humaine, incarnent la terrible banalité des êtres. Devant l'absence d'individualité réelle, le sens de la dérision incarne la seule position salutaire pour faire face à l'esprit de sérieux mortifère qui mine notre époque. La place du rire, nécessaire ingrédient du bonheur, entretient le sentiment de quête, de possibilité. La part de jeu et l'humour absurde sont des illusions indispensables pour contrer le désespoir prégnant, la nostalgie, les déceptions, les frustrations.
Les quatre personnages masculins à peine esquissés se précisent au fil de détails distillés au compte-gouttes lors de leurs échanges. Les scènes comme des tableaux tracés à grands traits ne deviennent tangibles qu'à travers les dialogues. Au cours du cocktail, les anti-héros de cette sottie se placent en observateurs amusés, témoins de la vacuité mondaine, étalage de réussite, absurdité de l'existence. Caliban représente le pouvoir salvateur de la mystification, le plaisir de la blague. L'auteur accorde une grande importance à la relation à la mère dans la définition des caractères. Charles manifeste de la peur face à la maladie de la sienne. Les dialogues imaginaires d'Alain avec sa génitrice déserteuse, définissent cette figure d'enfant non-désiré qui traîne le sentiment d'être un intrus, déséquilibre.
Chacun vient à assumer l'insignifiance "essence de l'existence" et revendique le caractère sacré de l'amitié. L'ironie comme panacée, le refus de la gravité et le rire face à "l'éternelle bêtise des hommes".
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