Dans une belle maison, dans les années 1960, une fillette d'une dizaine d'année grandit dans une famille sans histoire, issue d'un milieu aisé. Derrière la façade trop lisse, les parents narcissiques agissent en tyrans domestiques, imposant leur loi sans se préoccuper de l'individualité de leur enfant. L'éducation qu'ils dispensent est marquée par les préceptes de la petite-bourgeoisie, contrôle moral et physique, contraintes qui se manifestent en particulier lors des repas, interminables séances de souffrances. Malgré sa docilité, les parents considèrent leur enfant unique comme décevante, insuffisante. À force d'absence d'amour, d'affection, la fillette en vient même à remettre en question le lien de filiation. Papa et maman seraient des usurpateurs. La petite fille développe pourtant une fascination pour la mère qui lui refuse sa tendresse. Prisonnière de ce couple d'égoïstes, géniteurs au comportement inquiétant, mère distante, glaciale, indifférente, père rigoriste au comportement paradoxalement très immature, réflexions déplacées, sensualité débordante.
Portrait de famille au vitriol, le récit à la première personne du singulier embrasse une vision sombre de l'enfance, tableau aux intonations gothiques. Le roman écrit du point de vue de la fillette plonge au coeur de sa psyché et rend compte de l'inquiétante étrangeté des instants les plus banals vécus pour la première fois. Sur le ton acide de la causticité, le texte convoque la mémoire de l'enfance, les ambiguïtés et le désarroi. Corinne Hoex manie un humour très noir, sans complaisance pour animer des saynètes inspirées d'anecdotes communes à tous. À rebours de l'image idyllique, "vert paradis" de l'enfance, ici l'innocence fait place à l'angoisse latente, l'émerveillement à l'incertitude glacée. Le texte travaillé à l'os répond à une musicalité prenante, rythmique épurée au service d'un propos incisif.
Roman aussi grinçant que drôle sur une enfance bourgeoise teintée d'un manque cruel de tendresse, ce huis clos joue avec l'impression de malaise, d'angoisse, l'inconfort provoqué par la violente indifférence de parents envers leur enfant. Le couple aborde la question de l'éducation comme celle d'un dressage, un formatage mortifiant dont l'objectif serait de dissoudre toute velléité d'identité propre
Corinne Hoex ausculte les terreurs enfantines, peurs nourries par l'imaginaire. Elle explore la fantasmagorie des émotions propres à cet âge de dépendance, de soumission, sentiment d'oppression. Les projections, les interprétations que fait l'enfant sont le fruit de son incompréhension du monde des adultes. Les adultes eux-mêmes sont habités de manies et de compulsions, qui donnent lieu à des scènes étranges, perversité d'une fessée à table, curieuse scène de décorticage de crevettes, inquiétude d'une lame de rasoir posée dans la salle de bain. Porté par l'élan vital de l'écriture, "Le grand menu" est un roman percutant, dérangeant, très réussi.
Le grand menu - Corinne Hoex - Éditions de l'Olivier
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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