Crédit David Jungman |
Kelly Ruisseau, double fictionnel de Kelly Rivière, n'a jamais connu son grand-père irlandais. Peter O'Farrel, né en 1928 à Knockcarron, modeste village, émigre en Angleterre au début des années 1950 avec Margaret son épouse, enceinte de leur premier enfant. Le pays, dévasté par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, a besoin de bras pour se reconstruire. Les Irlandais constituent une main-d’œuvre à bon marché. Le labeur est rude, la vie difficile, le racisme anti-irlandais omniprésent. En 1966, Peter disparaît du jour au lendemain et abandonne à eux-mêmes, Margaret et leurs six enfants. Cette situation en suspens, inexpliquée est devenue pour Kelly, sa petite-fille, le terreau des imaginaires. Enfant puis adolescente, elle comble les trous biographiques, elle projette, réinvente des explications plausibles ou des vies d'aventurier. Jusqu'au jour où, adulte, elle décide de mener une véritable enquête pour retrouver la trace de Peter O'Farrel qui la conduit de Lyon à Londres, de Sète à l'Irlande. Si elle reçoit le soutien de son frère Julien, les stratégies d'évitement de sa mère Kathleen lui rendent la tâche difficile tandis que son père Michel prend le parti d'un repli précautionneux. Sa grand-mère Margaret lui oppose un mutisme catégorique.
"An Irish story" écrit, mis en scène et interprété par Kelly Rivière a été créé en 2018 à Avignon, avant de connaître le succès au théâtre de Belleville. Repris désormais à la Scala Paris, le spectacle invite au voyage sur les traces d'un mystérieux grand-père volatilisé. Performance alerte, composition touchante, Kelly Rivière seule en scène nous entraîne au fil de ses investigations, en quête de son aïeul et de ses origines. Durant plusieurs années, elle s'est interrogée sur les mystères de cette disparition.
"An Irish story" brise le silence. Les éléments biographiques se nourrissent de la fiction qui vient servir l'histoire familiale et plus largement l'Histoire irlandaise. En évoquant le destin de ses proches, Kelly Rivière donne la parole à toute la diaspora irlandaise que la misère pousse à l'exil, en Angleterre ou aux États-Unis. Avec énergie et authenticité, elle dit en filigrane le déracinement, le poids écrasant de l'Église catholique, le conflit fratricide entre indépendantistes catholiques et loyalistes protestants, le dénuement et la force d'une communauté.
Art de la conteuse, passeuse au talent manifeste pour l'incarnation, elle prête ses traits à plus de vingt-cinq personnages. Avec une grande fraîcheur, une belle sincérité, elle donne vie à une galerie pittoresque de caractères hauts en couleurs, portraits touchants ou burlesques. Kelly Rivière associe le français, l'anglais et tout un panel d'accents. Celui britannique de sa mère en français, de l'Irlande du Sud de sa grand-mère, du Midi de la France. Il y a Kathleen, la mère, aussi irrésistible qu'autoritaire, fascinée par les dictateurs sanguinaires. Le frère fumeur de joints, la grand-mère retorse, la nanny anglaise en fauteuil mais toute sa tête mais aussi le légendaire détective privé parisien Duluc.
Les ressources de l'humour caustique et de l'autodérision permettent de ne jamais verser dans le pathos. Kelly Rivière avance sur le fil de l'émotion. La sobriété désamorce les épisodes les plus douloureux, le rire les situations dramatiques. Elle répare le destin de Peter et de toute sa famille. Privilégiant le voyage plutôt que la destination, Kelly Rivière accorde la paix aux fantômes familiaux, accepte les questions sans réponses pour enfin faire le deuil de ce grand-père inconnu.
An Irish story, une histoire irlandaise
Jusqu'au 19 juin 2024
Mardi et mercredi à 19h
Texte, mise en scène et jeu Kelly Rivière
Collaboration artistique Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré
Scénographie Grégoire Faucheux et Anne Vaglio
Costume Elizabeth Cerqueira
Collaboration artistique à la lumière Anne Vaglio
Régie Générale Frédéric Evrard en alternance avec Agathe Patonnier
Administration de production et diffusion le petit bureau Virginie Hammel, Anna Brugnacchi
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg - Paris 10
Tél : +33 (0)1 40 03 44 30
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire