Théâtre : James Brown mettait des bigoudis, de Yasmina Reza - Théâtre Marigny - Jusqu'au 7 avril 2024



Lionel et Pascaline Huttner rendent visite à leur fils, Jacob dans une institution spécialisée qualifiée de "maison de repos". Depuis sa découverte de Céline Dion lorsqu'il avait cinq ans, sa passion pour la chanteuse québécoise a pris des proportions dévorantes. Au point que, désormais, il se prend pour elle. Au sein de la clinique, Jacob-Céline s'est fait un ami pour la première fois, Philippe, jeune homme blanc, qui s'identifie à un homme noir, un activiste qui se passionne pour l'adaptation au climat d'Ile de France d'un symbolique "sycorus", arbre du Bayou. La psychiatre en charge de leur suivi, elle-même plutôt originale, adepte de la trottinette et des excentricités, estime que chacun a bien le droit de choisir son identité. Jacob-Céline convie qui ne situe plus tout à fait ses parents, les convie à un concert dans sa chambre. Il compose de chansons pour son nouvel album et se prépare physiquement à sa grande tournée en Amérique du Sud. Lionel et Pascaline font face à ces manies délirantes dans l'espoir de retrouver le Jacob d'avant.



Yasmina Reza signe le texte et la mise en scène de cette tragi-comédie qui invite à s'émanciper des carcans de la société par la fantaisie et la déraison. Variation sensible, le texte s'ancre dans notre époque et interroge avec humour et poésie les grandes thématiques contemporaines devenues politiques comme l'identité, le genre, l'acceptation de soi mais aussi la filiation. 

L'auteure joue les équilibristes, grossit le trait pour mieux éclairer le sujet, sans jamais aller jusqu'à la caricature, explore avec acuité et férocité tendre la complexité psychologique de ses personnages. Par l'ironie, le pas de côté, elle interroge comment échapper aux déterminismes, aux assignations par le biais d'une perception altérée des choses, un grain de folie salvateur.

Entre rire et larmes, la loufoquerie se teinte d'une certaine dose de mélancolie, marque d'une empathie sans apitoiement. Yasmina Reza évoque avec finesse les fêlures. Elle nous parle de souffrance, celle des patients mais aussi de la solitude des parents face aux troubles mentaux de leur enfant, leur incrédulité, leur désarroi et leur terrible impuissance face à la transition qui s'opère devant eux, qu'ils peinent à comprendre. 

Sens des répliques et des situations volontiers absurdes, la dramaturge aborde la crise identitaire traversée par ses personnages sous le biais d'une réflexion alternative, discours audacieux développé par la psychiatre. Jacob perçu comme fou du fait sa perception altérée de la réalité aurait en fait le courage d'affirmer sa différence, de revendiquer sa propre altérité à rebours des conventions.

La pièce est portée par une distribution remarquable, savoureuse performance de troupe. Micha Lescot est aussi émouvant que convaincant dans le rôle de Jacob atteint d'un trouble dissociatif de la personnalité qui vient interroger les questions d'identité et de genre. André Marcon, Josiane Stoléru interprètent avec nuance les parents désarçonnés, personnages touchants de la norme bousculée. Le père bougon, oscille entre colère et désespoir, aimerait bien retrouver son "Pitounet". La mère plus compréhensive tente de s'adapter, après tout, dit-elle, "James Brown mettait bien des bigoudis". En psy gentiment déjantée, Christèle Tual se révèle irrésistible de drôlerie, à l'instar d'Alexandre Steiger dans le rôle de Philippe, jeune homme blanc qui se prend pour un activiste noir américain. Le musicien Joachim Latarjet alterne trombone, guitare électrique et poétise en live ce spectacle à la fois tendre, drôle et triste.

James Brown mettait des bigoudis
Du 28 mars au 7 avril 2024
Horaires : Du mercredi au samedi à 20h - Le dimanche à 15h

Texte et mise en scène Yasmina Reza
Avec Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et le musicien Joachim Latarjet
Assistanat à la mise en scène Oriane Fischer
Musique Joachim Latarjet en collaboration avec Tom Menigault
Scénographie et lumières Éric Soyer, assisté de Marie Hervé
Création vidéo Renaud Rubiano
Costumes Marie La Rocca
Maquillages et coiffures Cécile Kretschmar
Couture Eléa Lemoine
Coaching vocal Virginie Côte
Construction du décor Atelier de La Colline – théâtre national
Production La Colline – théâtre national
Coproduction TS3, Théâtre Marigny – groupe Fimalac Entertainment
Avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet
Le texte de la pièce a paru aux éditions Flammarion.

Théâtre Marigny
Carré Marigny - Paris 8
Tél : 01 86 47 72 77



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.