Crédit Thomas O' Brien |
Jeanne grandit dans la région de Fréjus dans une famille où la communication semble impossible malgré l'amour. Le père est un homme à l'ancienne, maladroit parfois rude jusqu'à la violence. La mère, petite femme triste obnubilée par son chien, semble dépassée par ces deux filles adolescentes. La soeur aînée entretient une bienveillance distante. Ils ne posent pas de mots sur les sentiments, n'expriment rien. Jeanne mène une adolescence solitaire entre ennui du quotidien, difficulté à trouver sa place. L'avenir est flou. Un soir, lors d'une sortie en boîte de nuit, elle est violée par un ancien camarade de classe. Les suites de cette agression : décrochage scolaire, violence intériorisée qui éclate au grand jour. À dix-huit ans, Jeanne quitte le Sud pour Paris où elle multiplie les boulots alimentaires. Le long processus de reconstruction débute lorsque son colocataire lui fait découvrir le cours Florent et qu'en parallèle elle s'inscrit à la salle de boxe où elle s'initie à la boxe thaï. Avec le théâtre, elle pose enfin des mots sur sa colère, et découvre la beauté de Victor Hugo avec "Ruy Blas". Par le sport, elle se réapproprie son corps, acquiert la force, la puissance.
Dans ce seul en scène sensible, récit autobiographique poignant, Julie Duval, auteure et interprète, évoque par le biais de son alter ego de fiction une trajectoire de reconstruction. Elle livre son histoire personnelle dans un exercice cathartique vibrant, où les expériences fondatrices se révèlent tour à tour destructrices et réparatrices.
Sur le plateau de La Scala Paris, un sac de frappe, une chaise et des jeux de lumière. La mise en scène dynamique signée Juliette Bayi et Élodie Menant convoque la grâce chorégraphique du noble art. Les déplacements du corps en action, le combat de boxe, deviennent danse de la vie. Julie Duval, longue guerrière, enchaîne esquives et coups portés, les feintes et les crochets dans une incarnation physique. Son interprétation percutante d'une grande sincérité procède d'une authentique générosité. Elle prête ses traits à une dizaine de personnages. Ironie tendre, justesse, précision, elle se glisse dans la peau de l'un puis de l'autre avec humour et empathie. Au gré de saynètes marquantes apparaissent successivement le père, la mère, la soeur, les potes, Dounia, l'amie d'enfance, cagole lumineuse, un conseiller Pôle Emploi, le prof de théâtre un peu poète un peu philosophe, l'entraîneur de boxe gouailleur.
Dans l'odeur évoquée de la salle de boxe, celle du camphre et de la sueur, Julie Duval dit la guérison par l'art et le sport, outils de résilience. Le corps et l'esprit guérissent lorsque le silence se brise. Les non-dits s'effacent dans la parole retrouvée des femmes, libération. Jeanne-Julie reprend confiance dans l'exercice physique, exutoire à la rage, et pose des mots sur la colère grâce au théâtre. Elle surmonte les épreuves, fourbit de nouvelles armes pour s'en sortir, s'affirme et choisit son chemin. Remarquable !
L’Odeur de la guerre
Prolongation Jusqu'au 30 mars 2024
Du 9 janvier au : Mardi, mercredi à 21h30 et dimanche 17h30
À partir du 3 février 2024 : le samedi à 21h30
De et avec Julie Duval
Mise en scène Juliette Bayi et Élodie Menant
Collaboration dramaturgie Juliette Bayi et Élodie Menant
Création Lumières Thomas Cottereau
Compositeurs Rodolphe Dubreuil et Rob Adans
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg - Paris 10
Tél : +33 (0)1 40 03 44 30
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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