Crédit Marwan Belaïd |
En 1750, Marie du Deffand tient un salon réputé, fréquenté par les plus beaux esprits de Paris. Philosophes et scientifiques, Turgot, d'Alembert comme Diderot, s'y pressent. La marquise, menacée de cécité, est contrainte de prendre une dame de compagnie à son service, une lectrice susceptible d'écrire ses lettres. Elle s'enthousiasme après de son confident et protecteur, ancienne flamme, le président Hénault au sujet de Julie de Lespinasse, fille illégitime de son propre frère qu'elle vient de rencontrer. Elle invite bientôt la jeune femme auprès d'elle à condition de taire leur parenté. Madame du Deffand entretient une grande affection pour sa nièce qu'elle considère bientôt comme sa propre fille. Tout d'abord réservée, intimidée par les invités de sa tante, Julie de Lespinasse se révèle peu à peu. Portée par l'ambition, elle s'autorise quelques audaces. Bel esprit et mise agréable, elle évolue rapidement au sein le cercle mondain. Mais Julie soutient des idées très modernes à rebours de celle entretenues par Madame du Deffand. Son étoile brille tandis que l'aura de sa tante décline. La marquise prend ombrage des succès de sa nièce auprès des personnalités de son salon. Désormais, elle regarde avec irritation sa protégée devenue rivale, d'autant que le président Hénault lui accorde une attention trop appuyée à son goût.
Auteur de la pièce "Le Souper", redoutable confrontation entre Talleyrand et Fouquet, le dramaturge Jean-Claude Brisville (1922-2014) célèbre "le génie de l'histoire". Avec "L’Antichambre" créée en 1991, il orchestre incarnée par deux femmes, deux générations, la lutte des Anciens et des Modernes sur fond de philosophie. Au Théâtre Le Ranelagh, Tristan Le Doze signe une mise en scène dépouillée de tout artifice et donne le premier rôle au texte et à l'interprétation. Efficacité redoutable, réparties tranchantes, les mots qui blessent, fusent. Ce duel de femmes aux dialogues réjouissants, oppose la salonnière établie, autoritaire, conservatrice, peu à peu éclipsée par la jeune intrigante, ambitieuse chantre de la modernité et des idées des Lumières.
Joutes verbales au sommet, Céline Yvon, impériale dans le rôle de Madame du Deffand que Voltaire surnommait "l'aveugle clairvoyante", et Marguerite Mousset, impeccable dans celui de Julie de Lespinasse, apportent beaucoup de profondeur à la rivalité intellectuelle et amoureuse des deux salonnières. Rémi Jouvin, qui incarne le président Hénault avec conviction et humour, joue les arbitres séduit par la fausse candeur de l'une et se souvenant de son attachement fidèle à l'autre.
Deux partis, deux visions s'opposent. Marie et Julie soutiennent avec verve leur propre cause, au gré d'un débat d'idées éclairé par des répliques acérées. Cinglante élégance du verbe et terrible actualité des thématiques, la pièce évoque la vieillesse, perte d'autonomie, la condition des femmes, le statut social, l'importance de l'éducation outil d'émancipation et d'élévation. Comédiens d'une grande justesse, propos intelligent, pertinence contemporaine, un spectacle admirable.
L’Antichambre
Jusqu'au 14 janvier 2024
Jeudi, vendredi, samedi à 19h - Dimanche 15h
Texte Jean-Claude Brisville
Mise en scène Tristan Le Doze
Avec Céline Yvon, Marguerite Mousset, Rémi Jouvin
Costumes Jérôme Ragon
Lumières Stéphane Balny
Théâtre Le Ranelagh
5 rue des Vignes - Paris 16
Tél : 01 42 88 64 44
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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