Sur le plateau d'un théâtre, les comédiens viennent de saluer à la fin de la pièce. Le public s'est retiré. Le régisseur passe. Stéphane, prêt à partir, casque de scooter à la main, est interpellé par Constance qui relance la première réplique. Elle semble vouloir reprendre la pièce depuis le début, soutenue dans cette initiative étrange par leurs deux partenaires, Éric et Bérangère. Interloqué, Stéphane consent à rejouer le spectacle devant une salle vide mais ne manque pas une occasion pour sortir de son personnage, Jacques, lequel annonce lors d'un dîner entre amis qu'il est mort. Sidération de part et d'autre. La réalité se fracture.
Chroniqueur, humoriste, comédien et désormais dramaturge, Stéphane De Groodt signe une première pièce savoureuse. La fable absurde laisse libre cours à l'imagination dans une mise en abyme qui brouille les pistes entre fiction et réalité. Quatuor dont la connivence et le plaisir sont communicatifs, Stéphane De Groodt, Éric Elmosnino, Constance Dollé, Bérangère McNeese jouent leurs alter ego qui ne sont pas tout à fait eux, se glissent dans la peau des personnages de la pièce dans la pièce avec une grande fluidité. L'engrenage du doute vient bousculer les certitudes pour mieux réinventer le réel.
Les trouvailles de la mise en scène Jérémie Lippmann donnent une couleur particulière à cette pièce déroutante. La narration déconstruite navigue sur le flot de rebondissements, de quiproquos qui entretiennent le flottement. Une idée se précise : le comédien n'existe que lorsqu'il incarne son personnage sous les yeux du public.
Le non-sens réjouissant fait basculer la raison et la logique au gré de répliques acérées. Une écriture, un style. Sensibilité du dyslexique à la scolarité chaotique désormais reconnu pour ses qualités littéraires, verve véloce de l'ancien pilote de course de formule 3000, Stéphane De Groodt invente sa propre voix, trace son chemin, affirme un imaginaire loufoque. L'argument de la pièce, tout en rupture de rythme, sert de prétexte à manipuler le langage. Les jeux de mots, les calembours, les associations cocasses foisonnent. De rimes, en allitérations, l'auteur impose une musicalité très personnelle. Saillies drolatiques, dérapages, doubles sens et second degré, la fantaisie est son credo.
La belle complicité des comédiens donne beaucoup de relief à leurs aspirations différentes. Constance Dollé incarne avec malice la comédienne qui ne veut pas quitter son personnage. L'excellent Stéphane De Groodt s'est réservé le rôle de celui qui aimerait bien rentrer chez lui et retourner à la vraie vie, empêtré dans le cauchemar de ce jour sans fin. Bérangère McNeese qui joue Bérangère qui joue une épouse un peu cruche et Éric Elmosnino, son mari désabusé, sont impeccables dans la peau de deux acteurs embarqués dans le délire de la première.
Sur scène le présent n'existe pas. La partition subtile entretient le flou entre le plateau de théâtre et la vie qui reprend ses droits, le comédien, son personnage et son double. Humour décalé, absurde maîtrisé, une belle soirée.
Un léger doute
Jusqu’au 7 janvier 2024
Du mardi au samedi à 21h, matinée le samedi à 16h30, le dimanche à 15h30
De Stéphane De Groodt
Mise en scène de Jérémie Lippmann, assisté de Lou Monnet
Avec Stéphane De Groodt, Éric Elmosnino, Constance Dollé, Bérangère McNeese, Pierre Berriau et Yann Carcedo
Scénographie de Jacques Gabel
Costume d’Isabelle Deffin
Lumière de Jean-Pascal Pracht
Musique de Pablo Lanty
Théâtre de la Renaissance
20 boulevard Saint-Martin - Paris 10
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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