En coulisses, des partenaires de longue date reprennent un dialogue interrompu, prémices farfelues d'un échange où l'absurde et la déraison entament un pas de deux. Ils entrent en scène, instrument de musique à la main, sans offrir plus de réponse sur les liens qui les unissent. Sont-ils ici pour une répétition, un concert ? Les deux hommes curieusement identiques et pourtant singuliers, enfermés dans un face à face se lancent dans une partition à deux voix intrigante, amis, rivaux, compagnons. Ils doivent s'accorder, n'y parviennent pas. La raison vacillante s'emporte sur des tirades rebattues, dialogue imaginaire ou conversation à bâton rompue. Les deux vieux compagnons de route s'invectivent, s'emportent, se réconcilient. Ils disent la vie, la mort, l'amour, la rupture, l'art, la création et l'angoisse. Deux facettes d'un même individu qui soliloque, l'auteur confrontant le comédien en lui au dramaturge qu'il est.
"Cahin Caha" de Serge Valletti semble suivre le cheminement de la pensée au gré des échanges, soubresauts chaotiques menés à un rythme enlevé. Tirades drolatiques, saillies cocasses, dialogues alertes font place aux embardées sensibles à toutes les nuances d'émotion. Cette incursion dans un univers étrange inquiète par le mystère des contradictions, fait sourire par des rebondissements inattendus. Les menaces suspendues entre les deux personnages sont symptomatiques d'une folie qui monte. La cocasserie des échanges, leur justesse, jusqu'à la violence fratricide, oscille entre la gravité et la légèreté. Gilbert Rouvière met en scène avec finesse et intelligence la pièce de Serge Valletti publiée en 2006 aux Editions L'Atalante. Le sous-titre "Dialogue pour un homme seul" ouvre des pistes de compréhension.
Férocité et humanité, causticité savoureuse, la sagesse songeuse de l'un joue les contrepoints de la virulence explosive de l'autre, différences et complémentarité des protagonistes. Jean-Claude Leguay et Daniel Martin, duettistes inspirés, font vivre cette situation étrange, loufoque. Le doute nourrit l'absurde, la déraison le rire. Ils incarnent le trouble, soulèvent des interrogations d'une intimité partagée.
Les caractères opposés se retrouvent bouleversés par le renversement des positions, Cahin devient Caha, Caha devient Cahin. Le principe même de la pièce, deux voix pour une seule entité, deux facettes d'un même individu, propose un exercice de haute voltige qui nécessite un savoir-faire. Les deux comédiens au sommet de leur art insufflent une intensité particulière aux débats dont le sens ne s'explicite jamais tout à fait. Ils jonglent avec les mots, les sentiments, belle sincérité, dynamique efficace, brio de l'interprétation.
"Cahin Caha" sera repris à la la Scala Provence à l'occasion du Festival Off Avignon, du 7 au 29 juillet 2023.
Cahin Caha, de Serge Valletti
Jusqu'au 20 juin 2023
Du dimanche au mardi à 21h
Texte Serge Valletti publié aux Éditions de l’Atalante
Mise en scène Gilbert Rouvière
Avec Jean-Claude Leguay et Daniel Martin
Scénographie Marie Nicolas
Coréalisation Les Nouveaux Déchargeurs – Compagnie Zinc Théâtre
Avec le soutien de l’ADAMI
Les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs - Paris 1
Tél : 01 42 36 00 50
Festival Off Avignon
Du 7 au 29 juillet 2023 à 17h30, relâche les lundis
Scala Provence
3 rue Pourquery Boisserin - 84000 Avignon
Téléphone : 04 65 00 00 90
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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