Lundi Librairie : Rouge impératrice - Léonora Miano

 


An 2124, San Kura 6361. Après d'intenses conflits, Afrique subsaharienne fédérée connait la paix et l'unité politique. Le Katioga unifié, ensemble prospère à l'échelle du continent, est dirigé par l'Alliance une caste de dirigeants "traditionnalistes éclairés". La crise écologique a bouleversé les équilibres géopolitiques. Désormais l'Europe, le Pongo, est un continent sinistré. Les descendants de migrants européens, une majorité de Fulasi, de Français, ancien peuple colonisateur, vivent en autarcie, repliés sur leur identité et leurs convictions idéologiques. Ces populations appauvries refusent de s'intégrer, de s'assimiler à la société du Katioga ou de retourner dans leur pays d'origine. Perçus comme une menace pour la paix sociale, le gouvernement envisage la mise en place d'une politique d'expulsion. Au sein de la capitale Mbanza, Illunga, le chef d'Etat, figure majeure de la Seconde Lutte de Libération, arpente les rues pour prêter l'oreille à la parole du peuple. Lors d'une visite incognito au marché, il s'éprend de Boya, brillante universitaire, à la peau et aux cheveux rouges. Cette sociologue spécialiste des groupes allogènes qui vivent en marge de la société est jugée subversive par les élites car favorable à l'intégration des Fulasi et à une politique de la main tendue. Invitée à rejoindre la Maison des Femmes du Palais Impérial, Boya réalise rapidement qu'Illunga est son âme soeur. Ils vivent une passion torride contrariée par les attaques de l'épouse officielle, Seshamani, qui tente de discréditer Boya aux yeux du public.

Léonora Miano, autrice franco-camerounaise, prix Femina 2013 pour "La saison de l'ombre", signe une oeuvre d'anticipation puissante, portée par des idées fortes, véritable remède aux crispations identitaires. Elle décrit un monde utopique dans lequel elle renverse les codes et les systèmes de domination. "Rouge impératrice" éclaire la réalité contemporaine sous un angle alternatif, propose de faire un pas de côté afin de prendre le contrepied des théories complotistes du "Grand remplacement". 

La férocité de l'inversion, du retournement de situation permet à la romancière d'ausculter avec minutie et pertinence les malaises de l'époque. Le prisme de la fiction offre une liberté unique. Cette projection d'une société fictive, organisation politique alternative, décrypte par le miroir tendu, les impasses de notre présent et donne à penser différemment la complexité des rapports entre Occident et Afrique, le passé colonial, l'esclavage, les avenirs possibles, les désillusions et l'espérance.

Dans cette romance flamboyante sur fond de réflexion politique, Léonora Miano emprunte la voie de l'afrofuturisme, mouvement culturel popularisé par le film "Black Panther". Vocables et références s'ancrent dans les héritages des cultures africaines, descriptions des architectures, des intérieurs, de l'habillement, des coiffures, des parures, des moeurs et des coutumes. L'autrice souligne ici l'importance des filiations, de la mémoire des peuples. Le récit puissant, souffle romanesque, associe syncrétisme spirituel africain et réalisme magique. Les phénomènes surnaturels font partie de la société qu'elle imagine exempte de religion. Il s'y est développé une forme de spiritualité en lien avec le culte des ancêtres originels, un mysticisme où les devins et les chefs entrent en contact avec le monde des esprits. Roman féministe, "Rouge impératrice" célèbre les lignées de femmes puissantes et y associe les questions de la légitimité, de l'appartenance. Léonora Miano prône l'apaisement entre les cultures et nourrit l'espoir d'un avenir apaisé.

Rouge impératrice - Léonora Miano - Éditions Grasset - Poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.