Jacques Offenbach (1819-1880), compositeur indissociable du règne de Napoléon III, s'est illustré dans le genre opéra bouffe, léger, populaire, joyeux, dispensant une satire piquante de la société derrière une certaine insouciance de façade. Au lendemain de la guerre franco-prussienne, de la chute du Second Empire, les temps sont délicats pour le héraut d'une époque révolue. Le musicien a moins d'inspiration. Ses chefs-d’œuvre sont derrière lui. A la suite de mauvais choix, gestion discutable du Théâtre des Bouffes parisiens et des droits de représentation de ces grands succès, Jacques Offenbach est désormais criblé de dettes. Pourtant il conserve son goût pour la frivolité, les belles chanteuses, l'extravagance, les excès, les dépenses somptuaires.
L'échec de ses dernières productions ne le décourage pas. Il compte monter une nouvelle opérette. Sa fidèle secrétaire négocie âprement avec le régisseur du Théâtre, monsieur Pitou. Elle ruse pour infléchir cet intraitable cupide. La cantatrice Hortense Schneider, maîtresse et muse historique, grande séductrice, manipulatrice, renoue avec le compositeur pour obtenir le rôle phare. Diva parmi les divas, elle se découvre une rivale en mademoiselle Aimée. Cette jeune première, fausse ingénue, fait valoir tous ses charmes lors d'une audition au cours de laquelle elle entame un french cancan endiablé. Le chevalier servant de cette demoiselle soupire malheureux.
Évocation des dernières années du compositeur, "Irrésistible Offenbach" rend un hommage joyeux à "l'oiseau moqueur du Second Empire". Les auteurs, Bruno Druart et Patrick Angonin, nourrissent leur récit de fiction pour donner chair à l'épisode d'une existence trépidante, faire revivre la Belle Époque sur le ton de la comédie. Personnages historiques et figures imaginaires se croisent dans des partitions réjouissantes aux dialogues incisifs. Mise en abymes piquante, théâtre dans le théâtre, "Irrésistible Offenbach" nous invite dans les coulisses d'une salle de spectacle, les aléas financiers, la gloire déclinante du compositeur, ses déboires sentimentaux.
La farce imprévisible dans ses embardées comiques assume un délicieux grain de folie, charme, humour volontiers burlesque. Anne Bourgeois imagine une mise en scène intelligente. Elle mène un spectacle de troupe à un rythme échevelé, mécanique de précision. Les intermèdes musicaux font résonner les airs les plus connus des oeuvres phares d'Offenbach, ceux de "La Périchole", "La Vie parisienne", "La belle Hélène". Numéros chantés et dansés follement entraînants ponctuent ce joyeux divertissement porté par une distribution remarquable.
Les six comédiens, liés par une belle complicité et un bonheur évident d'être en scène, incarnent avec malice toute la palette de ces personnages contrastés. Dans le rôle-titre, le comédien Jean-Paul Ferré met toute sa fantaisie au service de son personnage, excentrique musicien, génie créatif frappé de fulgurances, drôle, émouvant. Autour de lui gravitent des figures de femmes fortes, piquantes. Héloïse Wagner prête ses traits à la célèbre Henriette Schneider, merveilleuse croqueuse d'hommes et froide calculatrice. Alexie Ribes est délicieuse dans le rôle de la débutante ambitieuse, très loin d'être naïve. Claudine Barjol interprète avec conviction la secrétaire d'Offenbach, féministe avant l'heure. Elle affronte dans des joutes verbales savoureuses Daniel-Jean Colloredo, qui joue le cupide régisseur du théâtre. David Le Roch campe le dernier fidèle.
Remède anti-morosité idéal, un joyeux divertissement !
Irrésistible Offenbach, de Bruno Druart et Patrick Angonin
Jusqu'au 31 mai 2023
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h
Texte Bruno Druart et Patrick Angonin
Mise en scène Anne Bourgeois
Avec Jean-Paul Farré, Héloïse Wagner, Alexie Ribes, Daniel-Jean Colloredo, Claudine Barjol, David Le Roch
Scénographie Olivier Prost
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Musique Michel Winogradoff
Lumière Jean-Marie Prouveze
Théâtre de Passy
95 rue de Passy - Paris 16
Tél : 01 82 28 56 40
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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