Aux Etats-Unis, en pleine campagne électorale, une procédure de destitution est menée contre le président à la suite d’un scandale à caractère sexuel. Malgré le désenchantement généralisé, la rédaction du New York Investigation porte haut ses idéaux de probité et de déontologie. Résistant à la désinformation et aux théories du complot, deux journalistes, Julia et Alex enquêtent sur cette affaire d’état. Les soupçons sur l’authenticité des éléments mettant en cause le président émergent rapidement. Tout fait penser à un deep fake, détournement criant de vérité mais pour autant un faux. La fille du rédacteur en chef, experte en communication, travaille pour un nouveau parti dont le fondateur aux dents longues pourrait bien être le premier à profiter du chaos engendré par cette crise politique. Julia croit reconnaître lors d’une audience au tribunal son fiancé, décédé il y a quatre ans.
Thriller journalistique à l’ère du tout numérique, de la télésurveillance et des fake news, « Big Mother » nous plonge dans le scandale des Big data et du détournement des données personnelles sur Internet. La pièce écrite et mise en scène par Mélody Mourey, autrice des très remarqués de « La course des géants » et « Les crapauds fous » fonctionne sur le principe très cinématographique du flash-back. Enquête sur fond de scandale d’état, l’intrigue reprend les codes et le modèle de films de genre, le récent « Spotlight » de 2015 réalisé par Tom McCarthy ou encore « Les hommes du président » film de 1976 réalisé par Alan J. Pakula
Le titre de la pièce évoque le Big Brother du roman de George Orwell « 1984 » dont la troublante actualité n’a pas échappé à la dramaturge. Il convoque la menace du totalitarisme, de la réduction des libertés individuelles, de la surveillance policière généralisée. Le propos s’ancre dans une réalité très contemporaine des Big Data, de la désinformation, des théories du complot, de la manipulation de masse, des lanceurs d’alerte. Mélody Mourey a été inspiré par scandale « Cambridge Analytica », l’utilisation frauduleuse des données d’utilisateurs Facebook par un cabinet de conseil afin de planifier des campagnes de désinformation susceptibles d’infléchir des votes, d’orienter le processus démocratique. Le cabinet est notamment intervenu à l’occasion du référendum relatif au Brexit ainsi que lors des élections présidentielles aux Etats-Unis, dans le cadre desquelles, le but était de favoriser le candidat Trump. Les technologies numériques tendent à favoriser le développement de pratiques douteuses, orchestrées par des cabinets de conseil en stratégie, des lobbies dont les pouvoirs dépassent le cadre des lois étatiques. L’opacité de ces pratiques nourrit l’intrigue complexe de la pièce, mécanique de précision aux nombreux rebondissements.
La mise en scène concrétise la multiplication des intrigues, des lieux. Par un jeu habile entre les écrans et le plateau, projection de photographies et de vidéos réalisées par Edouard Granero, la scénographie signée Oliver Prost rend palpable la simultanéité de l’action, la prolifération des enjeux au rythme effréné des chaînes d’information en continu. Cette énergie est perpétuée par les six comédiens qui interprètent une vingtaine de personnages, Ariane Brousse dans le rôle de Julia, Pierre-Yves Bon dans celui d’Alex, Patrick Blandin, Guillaume Ducreux, Marine Llado et Karina Marimon.
Les dialogues efficaces à l’humour incisif ouvrent subtilement une réflexion sur le journalisme et l’information. Les falsifications organisées par les lobbies, les entreprises, les concurrents politiques menacent la démocratie. « Big Mother » nous incite à interroger ces pratiques, à remettre en question les informations et les sources, pour mieux reconnaître la distorsion de la réalité à des fins électorales, politiques. Mélody Mourey vient questionner le rôle de la presse en tant que quatrième pouvoir, susceptible de contrer cette désinformation généralisée par la pratique du fact checking, traitement journalistique de l’information consistant à vérifier de manière systématique de l’exactitude des faits, des affirmations. Il s’agit d’examiner de façon critique la teneur des différents éléments émanant du débat public et des discours politique en général afin de corriger les assertions trompeuses.
Pièce ambitieuse, intelligente, documentée, « Big Mother » nous confronte à la réalité des mésusages d’Internet et des réseaux sociaux. Haletant. Percutant.
Big Mother, de Mélody Mourey
Jusqu’au 31 mars 2023
Du mardi au samedi à 21h00 matinée dimanche à 15h00
Avec Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado et Karina Marimon
Vidéos Édouard Granero
Musique Simon Meuret
Lumières Arthur Gauvin
Scénographie Olivier Prost
Costumes Bérengère Roland
Chorégraphies Reda Bendahou
Une production du Théâtre des Béliers Parisiens
Théâtre des Béliers
14 bis rue Sainte Isaure - Paris 18
Tél : 01 42 62 35 00
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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