Au nord de Paris, les nationalités et les origines se croisent à la Goutte, un quartier populaire cosmopolite contrasté. Ramsès qui se prétend médium extralucide tient cabinet de voyance. Ses affaires prospères font la jalousie des concurrents, marabouts de Barbès et autres charlatans. Habile manipulateur, il accueille les inconsolables, les inconsolés dans des mises en scène soignées, cabinet dans la pénombre, assistante sibylline. Il offre à chacun de ses clients un spectacle au cours duquel il prétend communiquer avec les chers disparus à partir d’une photographie. L’intervention de complices à l’extérieur rend ces représentations plus vraies que nature. Par ces simulations, Ramsès vend du rêve, du réconfort. Le succès de sa petite entreprise est perturbé par l’arrivée d’une bande de gamins marocains livrés à eux-mêmes, migrants mineurs originaires de Tanger qui le prennent comme cible. Un soir, ces enfants des rues font irruption dans son appartement, saccagent le cabinet, rouent Ramsès de coups en exigeant qu'il mette ses dons à leur service. Frappé de véritables visions, le faux mage découvre un corps sans vie sur un chantier voisin.
Clément Cogitore, artiste et réalisateur aux talents multiples, danse, opéra, vidéos, signe un troisième long-métrage présenté à la Semaine de la critique à Cannes. Ce natif de Colmar, remarqué en 2015 avec son film « Ni le ciel ni la terre » en Afghanistan, alterne œuvres documentaires et fiction.
Polar urbain tourné au cœur d’un quartier populaire, Barbès La Chapelle, « Goutte d’or », éclaire le vivre ensemble, les liens noués, la réinvention des communautés malgré les différences. Il raconte la cohabitation, les oscillations entre bienfait et difficultés, dit autant l’entraide, la solidarité que les individualités féroces, la complexité des relations. Clément Cogitore pose un regard d’esthète, sensible, et capture avec intelligence l’énergie du quartier. Karim Leklou, lumineux, incarne un personnage ambigu parfois très inquiétant qui alterne douceur, fragilité et cynisme radical.
L’intrusion ponctuelle du merveilleux réenchante une réalité sociale dramatique, notamment celle de ces groupes d’adolescents coupés de leurs proches qui survivent cernés par la violence, qu’ils subissent et font subir. Ils ne sont pas sans évoquer les petites gouapes de Pasolini, la horde de gamins de « Et soudain l’été dernier » de Tennessee Williams.
Dans ce film noir aux accents fantastiques, Clément Cogitore fait surgir la beauté au détour d’un décor sans charme, capture des scènes de nuit pleines de mystère. Un chantier devient soudain une sorte de portail entre les mondes, le visible et l’invisible, le monde des morts et celui des vivants. Le réalisateur donne à voir le flottement, les possibles engendrés par les croyances, magie chamanique, mysticisme tribal et croyances variées. Les troublantes traces du surnaturel scénographiées distillent des doses de magie poétique dans un quotidien naturaliste, perturbations fantaisistes aux troublant accents oniriques.
Visuellement inventif, virtuosité plastique, lyrisme vénéneux, « Goutte d’or » est un film envoûtant.
Goutte d’or de Clément Cogitore
Avec Karim Leklou, Malik Zidi, Ahmed Benaïssa, Elsa Wolliaston, Jawad Outouia
Sortie le 1er mars 2023
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire