Lundi Librairie : Liberty - Simon Liberati

 

Simon Liberati est dans une mauvaise passe. Excès de psychotropes et d’alcool, le dandy décadent a laissé son penchant pour le chaos et l’auto-sabotage prendre sur le dessus. Les contingences réelles l’indisposent. Il vit entre son refuge dans l’Aisne, maison d’intendant d’une ancienne abbaye cistercienne, hors du monde, et Paris où il expérimente toutes les strates de la débauche mondaine. Amuseur officiel de la bonne société, son bel esprit, son érudition animent les soirées, les nuits sans fin. Il sort dans les beaux quartiers mais mécontente son dealer snob en choisissant un pied à terre porte de Clignancourt. Il enchaîne les dîners, les verres, au Flore, à la brasserie Lipp, Chez Georges, termine au Montana, au Raspoutine, au Baron, chez Castel. Pierre Le Tan, Jean-Jacques Schuhl et Ingrid Caven, Frédéric Beigbeder et Lara Micheli forment son cercle d’intimes. Il se partage entre deux maîtresses, Flower, extravagante thaïlandaise, la seule à n’avoir pas pris sa récente tentative de suicide au sérieux, et Caroline, bourgeoise mariée qui l’entretient plus ou moins.

Pour subvenir à un train de vie qui s’est emballé, il écrit pour Purple, Vogue, l’Officiel, multiplie les présentations de projets, prend les à-valoir que lui versent les maisons d’édition, rend rarement sa copie tout à sa procrastination festive. A l’occasion du lancement de l’édition française du magazine Vanity Fair, il mène une enquête sur le clan Rouhen, la fâcherie entre les sœurs Natacha et Bellinda, les scandales autour des héritages. Et mécontente un certain nombre de personnes par la même occasion. Il est également victime d’un corbeau qui écorche systématiquement son nom en « Liberty », coquille volontaire pour brouiller les pistes, et envoie des courriers salés aux époux de ses amantes, à ses éditeurs, à ses rédacteurs en chef. A court d’argent, Simon Liberati sombre dans une spirale du pire, vertige prémonitoire de la clochardisation. Les désastres personnels se multiplient. Ses maîtresses sont au bord de la crise de nerfs. Les impôts bloquent son compte en banque. 

« Pour avoir une vie amusante, je veux dire amusante à raconter, il faut renoncer à l'espoir d'une vie heureuse. Savoir toujours y renoncer à temps fut la plus grande chance de ma vie. ». Simon Liberati, auteur inclassable de livres distingué par la critique et les prix littéraires, « L’Hyper Justine » prix de Flore 2009, « Jayne Mansfield 1967 » prix Femina 2011, « Performance » prix Renaudot 2022, a fait de son existence une oeuvre romanesque. A la veille de sa rencontre avec Eva Ionesco, son journal intime, rédigé de février à mai 2013, témoigne d’un phénomène singulier : l’écriture modifie la perception de la vie et le rapport à la réalité. La tentation de dépasser les bornes pour engendrer matière à écrire n’est jamais bien loin. D’une sincérité désarmante, il se livre à l’exercice du journal avec autodérision et lucidité. Il raconte son envie perpétuelle d’ailleurs, son insatisfaction intrinsèque. Dans sa fuite en avant, il pose en indifférent, détaché des matérialités de la vie quotidienne rattrapé par la réalité. Son humour narquois met le monde à distance. Il rit des pires horreurs, multiplie les aphorismes savoureux, jeux de l’esprit.

Pour divertir la caste des privilégiés, Simon Liberati a créé un personnage de noctambule débridé, fou du roi provocateur qui peine à dissimuler son mal de vivre. Il mène une vie de patachon romanesque, fait le pitre pour rendre l’existence moins ennuyeuse, désacralise la figure de l’écrivain. Dans son journal, il croque avec férocité cette foire aux vanités. Aucun vice ne lui échappe et il se délecte des potins huppés à la Kenneth Anger. Sens rare du comique de situation, il met en scène le sérail, saynètes exquises et décadentes. 

Portraitiste inspiré, Simon Liberati capture sur le vif les caractères pittoresques de son entourage. Hanté par des fantômes familiers, les jeunes prostituées, les mauvais sujets, le texte déploie la gamme de ses motifs obsessionnels, fétichisme, sadomasochisme, la volupté et le mal, les années Palace. Il dit les ambiguïtés du dilettante en souffrance, interroge la désinvolture du moraliste nihiliste. Luxure et romantisme noir, bohème désaxée. Les amusantes rodomontades du bateleur flamboyant font place aux instants de grâce, élégance de la prose, musicalité. Antimoderne mystique, Simon Liberati confie ses goûts, sa passion salvatrice pour la littérature, l’esthétique décadente et l’oeuvre des grands diaristes, ses références, Paul Léautaud, « Le journal inutile » de Paul Morand, Julien Green, Jules Renard. « Liberty », un journal vénéneux et burlesque, où la vie et la littérature se confondent. 

Liberty - Simon Liberati - Editions Séguier Collection l’Indéfinie



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.